NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Alice Joly - Vansteenberghe, médecin à Villeurbanne

Une enfance marquée par la Grande Guerre
Fille d’un couple d’instituteurs, Alice Yvonne Joly est née dans la soirée du 18 février 1908 à Saint-Étienne (Loire). Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, son père Georges-Léopold, âgé trente-six ans, est mobilisé Progressivement, au vu des nombreuses pertes humaines dans les rangs français, les hommes plus âgés et pour la plupart responsables de famille sont tout de même envoyés sur le front en renfort. C'est le cas de Georges Léopold Joly qui est officier et atteint le grade de capitaine lorsqu’il est grièvement blessé au combat. Démobilisé, soigné mais mutilé de guerre, il se voit attribuer une pension. Quelques années passent puis, le 14 mars 1924, sa fille est   «adoptée par la Nation», c’est à dire qu’elle bénéficie désormais du statut de pupille de la Nation, créé en 1917. Réservé aux orphelins de guerre, aux enfants de mutilés ou invalides, ce dispositif permet à toute la famille d’obtenir un soutien matériel et moral de la part de l’État. 

 

Étudiante à Lyon
En 1927, la famille Joly s’installe dans le quartier de la Croix-Rousse (Lyon 4e), siège de l’industrie textile lyonnaise. Alice entreprend alors des études de médecine à la Faculté de Lyon, qu’elle poursuit jusqu’au doctorat. A-t-elle été influencée dans son orientation par l’état de son père ? C’est durant ces années qu’elle rencontre son futur époux, André Vansteenberghe, qui vit à la Croix-Rousse depuis 1912 et suit la même formation qu’elle. La jeune femme obtient ses diplômes et est officiellement médecin et sage-femme.

Une vie au service de la médecine à Villeurbanne
Alice se marie en 1929 avec André à la mairie du 4e arrondissement de Lyon. À partir de là, leurs parcours de vie à la fois affectif et professionnel seront indissociables. 
À la Noël 1932 le jeune couple vient s’installer dans le quartier villeurbannais des Gratte-Ciel alors en pleine construction. Ce projet d’urbanisme ambitieux et moderne achevé en 1934, poussé par le maire de l’époque Lazare Goujon, est rendu accessible aux plus modestes des travailleurs. Le grand appartement des Vansteenberghe est situé au 2e étage du numéro 3 de la place Aristide-Briand, juste en face de l’Hôtel de ville. Tous deux diplômés, ils aménagent chez eux deux cabinets médicaux où ils exercent comme libéraux. Par ailleurs ils s’investissent dans la vie locale et ont à cœur d’apporter leur aide aux plus démunis de leurs concitoyens. En 1932 et 1933 ils auront deux filles, Marguerite et Georgette, toutes deux nées à Lyon. Suzanne Couturier, la bonne, vit avec eux.
La jeune médecin œuvre également au dispensaire municipal -situé dans l'actuel Palais du travail- où les femmes enceintes et les jeunes mamans viennent la consulter. En 1934 Alice effectue chaque jeudi des contrôles médicaux d’enfants au jardin des Tout-Petits de la Ferrandière, un autre quartier de Villeurbanne proche des Gratte-Ciel. En 1940 elle rejoint l’Inspection médicale des écoles. 

L’engagement politique…
À la fin des années 1930 le couple Vansteenberghe adhère au Parti Communiste et adhère à la Franc-maçonnerie. Alice intègre la Loge « Évolution et Concorde » de l’Obédience mixte du Droit humain. Elle côtoie ce milieu humaniste où l’on retrouve dès le début de l’instauration de la Collaboration beaucoup d’opposants à Vichy. Le régime d’ailleurs ne tarde pas à édicter une série de lois touchant les mouvements francs-maçons et interdisant à ses adeptes l’exercices de nombreuses fonctions. 

… puis la Résistance 
Leur appartement, qui sert à la fois de foyer et de lieu de travail, devient également leur repaire clandestin. Recrutés par Claudius Billion, ancien capitaine d’aviation du Groupe de chasse III/9 basé à Bron, ils apportent une aide matérielle et ponctuelle pour les Français de Coq Enchaîné : régulièrement, le Docteur met sa voiture à disposition, notamment lors d’une opération clandestine à Blyes (Ain) organisée par des membres du réseau. Par ailleurs leur appartement sert parfois de lieu de réunion aux cadres de la Résistance, entre autres avec un certain Jean Moulin le 5 mai 1942*. Dès 1943, le couple de médecins produit également des faux certificats aux réfractaires du STO afin de leur permettre d’échapper à un départ pour l’Allemagne. Les premiers soupçons émergent alors et, probablement à la suite de dénonciations, la Gestapo perquisitionne leur appartement, les interroge mais faute de preuve, doit les laisser en liberté. Alice prend de grandes responsabilités au sein de la Résistance et devient officier adjointe avec le grade de lieutenant du colonel Bernheim, chef du réseau RP Gallia et chef du Service de Renseignement militaire du Mouvement de Libération Nationale. Au printemps 1944 alors que le couple de médecins continue d’être étroitement surveillé, les hommes en noir débarquent à nouveau chez eux croyant que des Juifs y sont cachés. Ils ne peuvent désormais plus continuer ainsi, c’est trop dangereux ; Madame Vansteenberghe, alias Geneviève Prunier ou bien Yvonne Mourier, entre en clandestinité pour de bon et devient chef départemental sanitaire de l’armée secrète, tandis qu’André est promu chef régional du réseau RP Gallia après l’arrestation du colonel le 4 août 1944. 

 

Le lendemain samedi 5 août en fin de matinée, Alice, à la demande de l’un de ses contacts, se rend Place Gailleton dans le 2e arrondissement de Lyon. Mais il s’agit d’un piège et elle est également arrêtée et immédiatement emmenée dans les locaux de la Gestapo de la Place Bellecour**.  Elle y est durement interrogée par Klaus Barbie et ses acolytes. Les coups pleuvent au point qu’elle en perd connaissance. Trois interrogatoires en une seule journée ! Elle parvient à prendre le temps d'observer ses bourreaux et remarque, en tant que professionnelle de santé, que celui qui se fait appeler "Barbie" possède des plicatures bien particulières à l’oreille gauche. Elle ne le sait pas bien sûr mais ce détail lui permettra plus de quarante ans après d’identifier formellement le « Boucher de Lyon ». 
Madame Vansteenberghe et quelques autres prisonnières sont emmenées à la prison Montluc mais dès le lundi suivant, elle est à nouveau ramenée au siège de la Gestapo. En présence de Barbie, le colonel Bernheim lui-même est torturé devant elle. Ils feront comme s’ils ne se connaissaient pas. Il sera sommairement fusillé quelques jours après à Bron. Elle est à nouveau rouée de coups puis encore ramenée à Montluc. 
Par chance si l’on peut dire, elle n’est pas déportée : l’avancée des Alliés après les débarquements permet une progression rapide des troupes et des insurgés FFI sur le territoire français. Elle est libérée en même temps que l’est la Prison, le 24 août 1944. Elle rentre cependant avec de nombreuses contusions et notamment les doigts brisés et cinq vertèbres cassées qui lui valent un handicap à vie. À la libération de Lyon, le 3 septembre 1944, elle aurait été la première à investir les locaux de la Loge du Parfait Silence pistolet au poing, permettant ainsi leur réouverture !

Témoin capital au procès de Klaus Barbie
Il faudra attendre le 11 mai 1983 pour qu’elle soit auditionnée comme témoin à la demande du juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Lyon, chargé de l’information contre Klaus Barbie. Il s'agit de déterminer entre autres si le chef d'accusation de crime contre l'humanité peut-être retenu à son encontre.


Puis quatre ans plus tard, alors qu’elle est veuve depuis trois ans, Alice Joly – Vansteenberghe est enfin appelée à la barre : 

“C'était la guerre. J'étais dans la résistance et j'avais pris mes risques. Mais les crimes contre l'humanité ! L'avilissement de la personne humaine ! Manger par terre ne correspond pas aux valeurs de notre civilisation”
Extrait du témoignage de Mme Vansteenberghe

 

C'était le 3 juin 1987. Elle reconnaît officiellement son bourreau et atteste, grâce à ses observations faites 43 ans plus tôt, de sa présence à Montluc alors qu’elle y était emprisonnée ; son témoignage permet alors de confirmer la responsabilité de Klaus Barbie dans le départ du dernier convoi de Juifs du 11 août 1944. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour crime contre l’humanité, il meurt en 1991. Alice s’éteint la même année, le 9 février, à Martigues (Bouches-du-Rhône). 

Femme médecin remarquable et appréciée de tous dans son quartier, elle obtient la Médaille de la Résistance avec rosette -décret du 3 janvier 1946- puis se voit décerner la Légion d’Honneur. 


Un square éponyme est inauguré le 7 juin 1991 au 11, rue Château-Gaillard en souvenir des Vansteenberghe.

Madame Alice Joly - Vansteenberghe à la sortie du tribunal après son témoignage dans le cadre du procès de Klaus Barbie le 3 juin 1987

Plaque commémorative apposée au-dessus de l'entrée du 3, place Aristide Briand, ancienne adresse des Vansteenberghe à Villeurbanne

* Etaient présents à cette réunion du 5 mai 1942: outre Jean Moulin, Henri Frénay pour Combat, Yvon Morandat pour Libération, Jean-Pierre Lévy et Antoine Avinin pour Francs-Tireurs. 

 

**Depuis le bombardement de Lyon le 26 mai 1944 et la destruction des locaux de l'avenue Berthelot (Lyon 7e), le siège de la Gestapo a été déplacé au centre-ville, au 35, place Bellecour (Lyon 2e).

Sources / bibliographie / webographie
Archives du Département du Rhône et de la Métropole de Lyon :
-    Liste recensement Villeurbanne, 6 M 740 année 1936,
-    Tribunal civil de Lyon 2657W,
-    Prison de Montluc, 3335W, dossier 6314,
-    PV d’audition de témoin, 11 mai 1983, 
Archives Municipales de Saint-Étienne : 2 E 145 année 1908, acte de naissance de Alice Yvonne Joly
Journal Officiel du 13 janvier 1946
Journal le Populaire, 17 juin 1934, « Villeurbanne socialiste inaugure aujourd’hui son centre 
Régis le Mer, « Francs-Maçons résistants, Lyon, 1940-1944 » 
urbain »
Bruno Permezel, Résistants à Lyon, Villeurbanne et aux alentours : 2824 engagements, Editions BGA Permazel, 2003
http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=100098
http://lerizeplus.villeurbanne.fr/arkotheque/client/am_lerize/encyclopedie/fiche.php?ref=1929
http://www.jmga.fr/actualites/1105-0307-date-verdict-maitre-alain-jakubowicz-rendra-compte-jour-jour-deroulement-proces-barbie-13/