NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Marie-Madeleine Fourcade, cheffe du réseau Alliance

entre 1941 et 1945

 

"Elle est le chef d'État-major, le pivot sans lequel rien ne peut tourner: elle a une mémoire d'éléphant, une prudence de serpent, un instinct de fouine, une persévérance de taupe et elle peut être méchante comme une panthère". 

 

Extrait d'une citation du commandant Georges Loustaunau-Lacau, chef du réseau Alliance avant son arrestation en 1941 et auquel succède Marie-Madeleine. Les noms d'animaux sont une allusion aux surnoms des membres du réseau, tous affublés d'un alias animal. C'est d'ailleurs pour cette raison que les Allemands appelleront le mouvement"l'Arche de Noé". 

La tentation de l’extrême-droite avant-guerre
Marie-Madeleine Bridou naît le 8 novembre 1909 à Marseille au sein d’une famille très aisée. Elle passe les premières années de sa vie en Extrême-Orient où son père est nommé sous-directeur de la Compagnie des Messageries Maritimes. Après avoir reçu une éducation catholique très stricte au Couvent des Oiseaux, où se retrouvent alors la plupart des enfants des plus riches familles françaises, elle est mariée très jeune au Colonel Édouard Méric, expatrié au Maroc. Elle y vit à la fin des années 1920 et met au monde deux enfants. Mais elle n’est pas la femme au foyer discrète et soumise qu’on souhaitait peut-être qu’elle fût. D’un caractère indépendant, elle a besoin d’action et souhaite travailler. 
Le couple Méric se sépare et dans les années 1930, elle rentre à Paris avec ses enfants. Journaliste et chroniqueuse de mode, elle travaille notamment à Radio-Cité, la station parisienne alors très en vue, et sa vie prend un nouveau tournant lorsqu’elle rencontre en 1937 le Commandant Georges Loustaunau-Lacau, brillant officier qui s’est illustré durant la Première Guerre mondiale, activiste d’extrême-droite. Il apprécie les qualités de rédactrice et d’organisation de Marie-Madeleine et lui propose de devenir secrétaire générale du groupe la Spirale, un ensemble de publications anticommunistes, antiallemandes et antisémites. Ce qu'elle accepte.

La Résistance et la création d’un réseau de renseignement militaire
La guerre éclate et après plusieurs mois d’une « Drôle de Guerre », la France envahie perd la bataille en 1940, mais pas la guerre. Quelques Français qui parviennent à rejoindre le Général de Gaulle à Londres commencent la lutte. Marie-Madeleine quant à elle aurait bien fui en Angleterre, mais elle n’y parvient pas. Avec un groupe d’amis réunis autour de Loustaunau-Lacau, ils décident de créer un réseau et d’engager un combat patriote contre les Nazis. Ces membres fondateurs de l’organisation clandestine sont pour la plupart proches des milieux d’extrême-droite, favorables à Vichy -du moins dans les premiers mois de l’Occupation- et restent méfiants à l’égard du Général de Gaulle. Marie-Madeleine, elle, n’a pas confiance non plus en le Maréchal Pétain.
Elle s’occupe de l’organisation et du recrutement notamment depuis Vichy où elle a rejoint Loustaunau-Lacau, membre actif de la Légion française des anciens combattants qui prône la Révolution nationale. Ils parviennent à entraîner dans leur sillage de nombreux fonctionnaires et officiers patriotes qui n’ont pas abandonné l’idée de reprendre la lutte contre l’Allemagne. Mais en février 1941, il devient difficile de trouver des soutiens à Vichy. C’est à ce moment que le chef du Gouvernement de Vichy, L’Amiral Darlan, renvoie Loustaunau-Lacau de la Légion car il le soupçonne fortement, à juste titre, d’œuvrer à l’encontre de la politique de Collaboration. La rupture est consommée avec ce qu’il reste de la France et le groupe décide de se tourner vers les services secrets Anglais du MI6 avec lesquels ils se mettent en rapport. Dans le cadre de la guerre sous-marine, ils vont ainsi aider les Britanniques qui ont besoin d’yeux et d’oreilles dans le secteur de Brest et Lorient. Sous la houlette de Marie-Madeleine alias « Hérisson », le groupe va décider de se développer dans le nord-ouest occupé et de prendre le nom de réseau « Alliance ». Ce mouvement sera par la suite surnommé « l’Arche de Noë » par les Allemands à cause des surnoms d’animaux adoptés par tous les membres du groupe. 

 

Alliance et la Bataille de l’Atlantique
Les Britanniques financent désormais Alliance et dotent le réseau en postes-émetteurs qu’il faut parfois aller chercher à Lisbonne. Après l’arrestation de Loustaunau-Lacau, les membres du groupe poussent Marie-Madeleine à accepter de lui succéder. Il faut dire qu’elle a le caractère et les qualités requises pour la fonction. Les Anglais acceptent sa nomination et elle sera la seule femme avec un tel statut officiel en France. 

Hérisson aura sous sa responsabilité jusqu’à 3 000 agents, appartenant à une structure organisée en sous-réseaux, qui a tissé sa toile sur tout le territoire et présente plusieurs spécificités : outre le fait d’être dirigée par une femme, beaucoup de membres sont issus de la fonction publique et fait suffisamment rare pour être signalé, près d’un quart sont des femmes !

Arrêtée une première fois en novembre 1941, elle réussit à fuir et à passer en Espagne cachée dans un sac de courrier. Marie-Madeleine désormais à la tête du réseau effectue également des missions de terrain. En décembre 1941, elle revient et se trouve à Brest où elle se fait embaucher comme couturière des sous-mariniers allemands. Décrite comme « une petite femme gracieuse et douce », elle répare et vérifie les bouées de sauvetage de la base. Et l’air de rien, elle perce l’étoffe des bouées avec un passe-laine espérant ainsi être rappelée pour les réparations et pouvoir recueillir les confidences des marins concernant les départs des U-Boots, les sous-marins allemands. Les précieux renseignements ainsi volés à la Kriegsmarine et secrètement collectés sont transmis à l’Amirauté anglaise. Parmi les autres informations capitales recueillies par le réseau figurent notamment les essais V1 et V2, des relevés des rampes de lancement et une carte des défenses de l’Atlantique, récoltées par Jeannie Rousseau alias « Amniarix », membre du sous-réseau « Druides ». 

À gauche, photo de la fausse carte d'identité de Marie-Madeleine Méric et à droite, photo d'identité de 1947. Clichés publiés dans un article de France Soir, "Les souvenirs de l'agence secrète n°1, Marie-Madeleine", 7 mai 1947

Le danger est partout
Alliance est efficace et contribue à de nombreuses actions. Bien connus de la Gestapo, des membres subiront le sort de nombreux résistants. Ils seront traqués, parfois arrêtés puis torturés et plusieurs seront déportés. C’est le cas notamment d’Amniarix qui connaîtra deux condamnations à mort avant finalement d’être déportée successivement dans plusieurs camps, dont celui de Ravensbrück. Autre personnalité : Léon Faye alias Aigle, ancien commandant d’une unité aérienne, qui en devient le chef militaire en mai 1942. Il fait plusieurs allers-retours entre la France et Londres et notamment le 25 septembre de cette même année, il rapporte à Hérisson de l’argent ainsi que les codes de son réseau. Lui aussi prend ainsi des risques considérables, et encore plus le 4 novembre 1942. Ce jour-là en effet, il organise avec sa cheffe le départ en sous-marin du Général Giraud (rival du Général de Gaulle pour la direction des forces alliées françaises) depuis le Lavandou, afin qu’il puisse rejoindre Alger pour le Débarquement allié qui est alors imminent. Quelques jours après, Léon Faye et Marie-Madeleine notamment sont arrêtés à Marseille, mais grâce à des complices, Membres de la surveillance du Territoire, ils réussissent rapidement à s’évader. 
Tous deux s’installent alors à Lyon, plaque tournante de la Résistance où œuvre Klaus Barbie et où la Gestapo est alors très active. Après les arrestations de Caluire le 21 juin 1943, les services secrets anglais décident de les mettre tous deux à l’abri et les font évacuer vers Londres où on leur demande instamment de demeurer. Ils sont trop exposés, depuis trop longtemps. Marie-Madeleine emmenée par Lysander le 17 juillet 1943 se plie aux consignes du MI6 mais pas Léon Faye qui décide de revenir en France en septembre 1943 et qui, dès le lendemain de son retour, le 16, se fait arrêter. Durant cette année 1943, de nombreux membres d’Alliance tombent (Madame Fourcade accuse le général Alamichel, qui souhaitait ouvertement prendre le poste de L. Faye voire la direction du réseau, d’en être à l’origine).
Elle rentre en France clandestinement le 5 juillet 1944, un mois après le Débarquement de Normandie. Mais Alliance, qui est désormais passé sous la bannière des services secrets français du BCRA de De Gaulle, est encore extrêmement surveillé puisque peu après, le 18 juillet, elle est à nouveau arrêtée par la Gestapo et mise au secret dans la cellule d’une caserne d’Aix-en-Provence. Qu’à cela ne tienne, elle s’évade encore une fois et rend par la suite des services aux Alliés en collectant du renseignement en avant de l’Armée du général américain Patton. Les Alliés justement progressent et la défaite allemande survient enfin. 
Elle recherchera activement les survivants de son réseau dans les camps avant de veiller sur eux plusieurs années durant. Au total 432 des membres d’Alliance ont disparu, dont 101 exécutés les 1er et 2 septembre 1944 au Camp du Natzwiller-Struthof.

Nouvelles missions après guerre
Marie-Madeleine divorce d’Édouard Méric et se remarie avec Hubert Fourcade, membre de la France Libre avec lequel elle aura d’autres enfants. Elle sera finalement favorable au retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958, auquel elle contribue en militant en sa faveur. La guerre a apparemment changé Marie-Madeleine Fourcade qui, après avoir été tenté par la dureté de l’extrême-droite avant-guerre, choisit de s'investir pleinement dans de nouvelles missions, au bénéfice des anciens du réseau et pour la Mémoire entre autres. Dès 1945, elle assure la présidence de l'Association Amicale Alliance et se bat pour faire reconnaître son réseau comme unité militaire (Alliance sera reconnue comme unité combattante du 1er février 1941 au 8 mai 1945) afin que ses membres et leurs proches soient dédommagés et aient accès à des aides pour ceux qui ont tout perdu. Elle fait par ailleurs établir la liste des 432 disparus et publie en 1947 le « Mémorial de l’Alliance ». Elle cherche également à connaître la vérité et à identifier les traîtres qui ont dénoncé les nombreux membres du réseau, déportés ou exécutés. C’est dans ce cadre qu’elle formule des accusations contre Fernand Alamichel, ancien officier de l’Armée française et ancien d’Alliance, arrêté par les Allemands, accusé d’être un agent double mais qui se voit toutefois disculpé de toute accusation de traîtrise en 1949. Au cours de la procédure, il l’insulte et elle parvient à le faire condamner pour diffamation. En 1950, il se retourne contre elle et l’assigne en justice pour fausses accusations, réclamant 10 millions d’indemnités. 
De 1963 à 1989, Madame Fourcade est présidente du Comité d’Action de la Résistance ainsi que membre de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA). En 1968 elle publie « L’Arche de Noë », reprenant à son compte le surnom que les Allemands avaient donné à son réseau. Elle milite pour la défense des intérêts français et pour la paix en Europe, et elle est élue député européenne entre 1980 et 81. En 1981, elle préside le jury d’honneur de Maurice Papon et en 1987, elle témoigne au très retentissant Procès Barbie à Lyon. Elle décède à Paris le 20 juillet 1989 ; un hommage solennel avec les honneurs militaires lui est rendu aux Invalides, en présence de nombreuses personnalités. 
Elle est inhumée au Père Lachaise.

Plusieurs Décorations lui sont remises : La Légion d’Honneur -grade de Commandeur, la Croix de Guerre, la Médaille de la Résistance avec rosette et l’Order of British Empire (OBE).

Marie-Madeleine Fourcade à Lyon lors du procès Barbie au cours duquel elle témoignera (Numelyo, Bibliothèque Municipale de Lyon) 

Marie-Madeleine Fourcade au Conseil Européen, 1980 (photo Union européenne)

Sources : France Soir, 7 mai 1947, « Les souvenirs de l’agente secrète n°1, Marie-Madeleine » https://www.retronews.fr/embed-journal/france-soir/7-mai-1947/2459/3192891/2?fit=758.999.904.1031 
FOURCADE M.M., « L’arche de Noé » , Éd. Fayard, livre-témoignage, 1968

 

Bibliographie / presse
OLSON Lynne, « Madame Fourcade’s secret war”, 2020
Droit et Liberté, 1er octobre 1980, article « 300 000 contre le racisme, contre le fascisme », discours de MM Fourcade pour la Licra sur les idéaux de la Résistance
Droit et Liberté, 1er/01/1968
Ce Soir, 4 avril 1950
Le Monde, « Mort de Marie-Madeleine Fourcade, le Hérisson de l’Arche de Noé », 21 juillet 1989
Libération, « Les femmes de la Liberté, Marie-Madeleine Fourcade, arche d’alliance », 16 août 2019
Article « Les chemins de la Mémoire », Revue de la France Libre n°268, 4e trimestre 1989

 

Webographie
https://histoireparlesfemmes.com/2013/03/12/marie-madeleine-fourcade-cheffe-dun-reseau-de-resistance/
http://www.reseaualliance.org/pages/biographie-des-membres/marie-madeleine-meric-fourcade-bis.html 
https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/interview-avec-marie-madeleine-fourcade-la-seule-femme-a-avoir-dirige-un-grand-reseau-de-resistance-en-fran-CNT0000019puSj.html