NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Laure Diebold, Alsacienne résistante

 

 

Laure Diebold est peu connue du grand public et pourtant : elle a été la secrétaire de Jean Moulin et fait partie des six femmes qui ont été nommées Compagnons de la Libération* – sur 1038 Compagnons au total. 
*les cinq autres femmes étant : Marie Hackin, Berthy Albrecht, Marcelle Henry, Emilienne Moreau-Evrard, Simone Michel-Lévy). Cinq communes et dix-huit unités militaires des Forces Françaises Libres ont également été nommées Compagnons de la Libération.

 

Une Alsacienne francophile
Laurentine Mutschler, de son nom de naissance, voit le jour à Erstein (Bas-Rhin, Alsace) le 10 janvier 1915. Elle est la seconde enfant d’un couple alsacien de condition modeste, détestant l’Allemagne et profondément francophile : Florent, menuisier et ébéniste et Philomène Blanché, restauratrice.  
Celle qui va choisir de se faire appeler Laure a hérité de ce sentiment patriotique à l’égard de la France. Elle est pourtant née allemande puisque en 1915, l’Alsace (ainsi que la Moselle) est occupée par le Reich officiellement depuis le 10 mai 1871 et la signature du Traité de Francfort. Les territoires alsaciens et mosellans sont réintégrés à la France le 21 décembre 1918, et leur occupation par les troupes allemandes dès juillet 1940 est vécue par les Mutschler comme un drame qui recommence. L'histoire se répète.

Laure Diebold, années 1940

Études et carrière professionnelle
Dès 1920 la famille s’installe à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin, Alsace). Dans les années 1930, Laure y obtient son diplôme de sténo-dactylographe bilingue, français et allemand, un métier incontournable des administrations et du monde de l’entreprise au début du XXe siècle et un symbole de la féminisation du travail. C’est à cette période qu’elle se fiance avec Eugène Diebold, secrétaire de la mairie de la commune. Puis à la fin de ses études, elle entre comme secrétaire aux établissements Baumgartner, une entreprise locale. En 1935, elle est embauchée par les usines Elastic à Saint-Louis (Haut-Rhin) où elle reste jusqu’en 1939. Pendant la Drôle de Guerre, on la retrouve secrétaire d’un industriel de Saint-Dié (Vosges). 

 

 

Résistante de la première heure
À la fin juillet 1940, elle reste en Alsace malgré l’annexion et rejoint une filière de passeurs aidant les prisonniers de guerre des camps de l’Est du Rhin qui parviennent à s’évader à franchir la ligne de Démarcation. Elle héberge même quelques-uns de ces soldats au domicile de son père, au 46 rue Jean Jaurès à Sainte-Marie-aux-Mines, ou bine chez son fiancé. Elle s’associe au cercle de résistants du Dr Charles Bareiss, dont le but était d’unifier la résistance alsacienne en un mouvement appelé « Gaullistes d’Alsace et de Lorraine ». 
Mais l’activité est bien sûr risquée… repérée par les autorités, Laure doit fuir la nuit de Noël 1941. Cachée dans une locomotive, elle parvient à relier Lyon qui se trouve encore en zone libre et devient rapidement secrétaire au bureau des Réfugiés d’Alsace-Lorraine. Son fiancé la rejoint bientôt et travaille comme employé de bureau. Ils se marient le 31 janvier 1942 dans le septième arrondissement. 
Quelques mois après, en mai, les époux Diebold entrent au réseau de renseignement Mithridate. Laure est agent P1* et son rôle est de recueillir des informations qu’elle code avant de les envoyer par courrier à Londres, où elles seront récupérées par l’Intelligence Service.  

*L’agent P1 est permanent mais conserve son activité professionnelle.

L’agent P2 est permanent et clandestin. 

 

 

Agent P2
Le 18 juillet 1942, elle est arrêtée par la police française, son mari deux jours après elle ; ils sont relâchés six jours plus tard, le 24, faute de preuves. Mais son activité d’agent de renseignement est devenue trop dangereuse, elle est surveillée et doit se mettre au vert quelques temps : elle se réfugie à Aix-les-Bains, entre totalement dans la clandestinité et devient Mona.
Peu après, par l’intermédiaire d’une certaine Madame Moret qui travaillait avec elle au service des Réfugiés, elle rencontre Daniel Cordier, un jeune homme parti dès 1940 rejoindre la France Libre, membre du Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA). C’est en septembre 1942 qu’elle devient membre de la Délégation de Jean Moulin alias Rex, représentant du Général de Gaulle en zone libre. Affectée au secrétariat de Daniel Cordier, sous le pseudo de Mado, elle est une infatigable travailleuse, elle rédige et code des textes jour et nuit, dans un premier temps dans un logement à Villeurbanne. Pendant plusieurs semaines, le secrétariat de la Délégation Générale fonctionne uniquement avec un noyau de trois personnes : Daniel Cordier, Laure Diebold et Hugues Limonti, un ancien ouvrier des usines Berliet. 
En décembre 1942, ce secrétariat s’est étoffé et compte une quinzaine de personnes dont Mado est, selon les propres termes de Daniel Cordier, la « pierre angulaire ». Elle ne rencontrera Rex qu’une seule fois, le 8 du même mois, où elle devra taper pour lui un rapport urgent à la machine. En janvier 1943, elle déménage et s’installe dans un bureau à Lyon, près de la Place des Terreaux, afin de faciliter ses rencontres avec les autres membres de la Délégation et de limiter ses déplacements. La zone libre n’existe plus depuis novembre 1942 et l’invasion totale du pays, le travail clandestin est de plus en plus dangereux avec la présence accrue de la Gestapo, de la Police secrète et des Miliciens.
En mars 1943, la Résistance prend de l’ampleur malgré tout et Laure, avec Daniel Cordier et plusieurs membres de l’équipe, se rend à Paris pour préparer implantation de la Délégation. Elle réside alors chez son frère René à Fontenay-aux-Roses, 15 rue de Bagneux (actuelle rue Max Dormoy) où se trouve son bureau en attendant de louer un local à Paris. Il est très difficile alors de dénicher un tel lieu dans la capitale et risqué de faire appel à une agence. Mais les bureaux sont finalement installés rue Vavin, dans le 6e arrondissement, puis rue de la Pompe dans le 16e. C’est Mado qui rédige l’annonce de la première réunion de l’organisme désormais chargé de diriger et coordonner les mouvements français de résistance intérieure : le Conseil National de la Résistance (CNR), le 27 mai 1943. Son programme baptisé « les jours heureux » sera adopté le 15 mars 1944.

Télégramme de Jean Moulin adressé au Général de Gaulle à Londres, daté du 29 mai 1943. Le Président du CNR atteste le bon déroulement de la première réunion et énumère les participants. 

Le 25 mai est mentionné, au lieu du 27: Jean Moulin a rédigé la note avant et ignorait alors que la rencontre serait reportée de deux jours, certains chefs de mouvement étant indisponibles. 

Après l’affaire de Caluire et l’arrestation de Jean Moulin le 21 juin, la Délégation Générale a la tête coupée mais continue de fonctionner. Laure poursuit son travail auprès de Georges Bidault, ancien rédacteur en chef du journal clandestin Combat et membre du CNR à sa fondation, qui est nommé en septembre Président de cet organisme. Malgré toutes les précautions possibles, un personnel de l’agence sollicitée pour trouver le local de la rue de la Pompe a dénoncé des activités suspectes, ce qui va déclencher une vague d’arrestations par la Gestapo. 

 

Arrestation et déportation
Laure Diebold est appréhendée le 24 septembre 1943, en compagnie de son mari, alors qu’ils se trouvaient rue de Grenelle à Paris. Ils sont incarcérés à la prison de Fresnes, puis interrogés. Laure qui est dans le secret de beaucoup de choses parvient pourtant avec un sang-froid extraordinaire à convaincre ses geôliers qu’elle n’a été que boîte aux lettres, et qu’en conséquence, elle ne sait absolument rien ni ne connaît personne. Cela ne suffit pas à la faire libérer mais au moins elle échappe à la torture !
Le 17 janvier 1944 commence un long parcours carcéral : dirigée vers Sarrebruck puis internée à Strasbourg du 28 janvier au 13 juin 1944, elle est ensuite déportée ensuite au camp de sûreté de Schirmeck. Puis elle est internée successivement à Mulhouse, Berlin puis au camp de femmes de Ravensbrück. Transférée près d'Altenburg, au kommando de Meuselwitz qui dépend de Buchenwald, elle est affectée à partir du 6 octobre 1944, au kommando de Taucha situé près de Leipzig et dépendant aussi de Buchenwald.
Gravement malade, promise au four crématoire car trop épuisée pour être employée à quelque activité que ce soit, elle est toutefois sauvée par un médecin tchèque du laboratoire du camp qui trafique sa fiche à deux reprises. Libérée en avril 1945 par les Américains, très affaiblie comme on peut l’imaginer, elle est de retour à Paris un mois plus tard après près de seize mois de déportation. Conduite à l’Hôtel Lutetia, qui sert d’hébergement aux rapatriés, elle a le bonheur d’y retrouver son mari qui rentre également d’Allemagne. 

 

 

Après la guerre
En dépit d'une santé très altérée par les épreuves subies en déportation, elle recommence à travailler dès 1947, à Paris, dans les services de la Direction générale des Etudes et Recherches (DGER) comme secrétaire auprès de Daniel Cordier. Puis à partir de 1957, elle suit son mari à Lyon et travaille dans une entreprise où elle est successivement secrétaire puis bibliothécaire. 
Laure Diebold meurt subitement le 17 octobre 1965 à Lyon ; après une cérémonie à la Cathédrale Saint-Jean où de nombreux hommages lui sont rendus, après les honneurs militaires, elle est inhumée en Alsace, à Sainte-Marie-aux-Mines, dans le Haut-Rhin. 
Le couple n’a pas eu d’enfant et Madame Diebold est tombée dans un oubli relatif jusqu’à la parution de l’ouvrage de Anne-Marie Wimmer en 2011 intitulé « Code Mado ; Mais qui est donc Laure Diebold – Mutschler ? ». 

Décorations et commémorations
Grade homologué dans la Résistance : Lieutenant  
Compagnon de la Libération - décret du 20 novembre 1944, au moment où Laure se trouve au kommando de Taucha (près de Leipzig) ; cérémonie de remise le 18 juillet 1946 aux Invalides par le général Legentilhomme 
Croix de Guerre 39/45
Médaille des Services Volontaires dans la France Libre

Chevalier de la Légion d'Honneur
Il existe une rue Laure Diebold à Lyon 9e, à Paris 8e et à Hindisheim (Bas-Rhin ; il s’agit de la commune où est né son père, Florent Mutschler) / Une borne historique a été installée à Erstein 

Un timbre à son effigie a été créé en 2015, cent ans après sa naissance (voir ci-contre à gauche)

Sources et biblio 
Archives Municipales de Lyon, table annuelle mariage 1942 Lyon 7e, cote 2E3800 et registre 1942 Lyon 7e, cote 2E3799 
https://www.chrd.lyon.fr/musee/conference/laure-diebold écouter la conférence / 
https://media.fontenay-aux-roses.fr/fileadmin/fontenay/MEDIA/decouvrir_la_ville/histoire/Livret_Laure_Diebold_2015.pdf 
Service Historique de la Défense, GR 28 P 4 464/21 // GR 16P 438388