NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Élisabeth Lion, aviatrice aventurière

 

 

 

Les années Vingt et Trente sont marquées par un formidable engouement de la population pour les grands meetings aériens, les démonstrations de voltige et de parachutage et aussi pour la course aux records qui accompagne les évolutions technologiques de l’aéronautique civil et militaire. En France, nombre de jeunes gens obtiennent leur brevet de pilotage et parmi eux, pas que des hommes. À cette époque, plusieurs Françaises notamment, éprises de liberté, s’illustrent au même titre que leurs homologues masculins et réussissent d’incroyables épopées. 
Le 26 mars 1939 Élisabeth Lion remporte le Trophée national des aviatrices. Revenons sur le parcours de cette femme d’exception, interrompu par la guerre. 

Née le 11 décembre 1904 près de Sedan d’où était originaire sa mère, Élisabeth Lion, dont le père et l’oncle étaient militaires, grandit dans un milieu plutôt favorisé. Au cours de la Première Guerre mondiale la famille évacue les Ardennes pour se réfugier en Bretagne, puis à Paris où Élisabeth demeure par la suite. Après un baptême de l’air à Guyancourt sur l’aérodrome de la Société des avions Caudron qui l’impressionne, elle s’investit complètement dans l’aventure aéronautique. Rapidement elle prend des cours de pilotage puis obtient son brevet sur Caudron C.270 « Luciole » en 1934, à l’âge de 30 ans. Après avoir participé plusieurs fois à la coupe Hélène Boucher, elle prend part à la course aux records des acteurs de l’aéronautique des années 1930 : records d’altitude, de distance, de vitesse. Elle va enchaîner les réussites principalement en 1937 et 1938. Entre temps elle obtient son brevet de transport aérien bien qu’à l’époque, les compagnies aériennes françaises refusent de recruter des pilotes féminins…

 

 

Élisabeth Lion et son avion personnel
Le Caudron-Renault C.610 « Aiglon » est la version monoplace à long rayon d’action avec capacité d’emport de carburant augmentée du C.600. Produit en seulement deux exemplaires, l’appareil d’Élisabeth Lion, qu’elle achète en 1935, est immatriculé F-ANSK. Elle le fait modifier comme l’avait fait André Japy, l’un des pionniers français de l’aviation : trois réservoirs supplémentaires et une petite conduite intérieure type Caudron C.460 « Rafale » pour mieux tenir face au plein vent. Le second C.610 immatriculé F-ANSI appartient à une autre aviatrice de talent, Andrée Dupeyron. 

 

Profil de l'avion personnel d'Élisabeth Lion, Caudron C.610 "Aiglon"

immatriculé F-ANSK baptisé "Bengali Junior"

Quelques records
Décrite comme « tenace, discrète, intelligente et méthodique » par les journaux de l’époque, Madame Lion enchaîne les succès en 1938 après avoir notamment établi un nouveau record féminin d’altitude à 6410m avec un Caudron C.600 fin 1937.

Élisabeth Lion après l’atterrissage de son Caudron C.610 « Aiglon » à l’Aérodrome du Bourget le 5 mars 1938. Elle vient de réaliser un tour de France en 10 heures et 10 minutes au cours duquel elle a survolé Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Pont-Audemer.

Le 8 avril 1938 à 20h30, aérodrome du Bourget : Élisabeth Lion descend de son Caudron C.610 Aiglon après avoir réussi son vol Paris-Tunis-Paris en moins d’un jour – précisément dix-huit heures et quelques minutes, soit une moyenne de 181 km/h pour parcourir 3300 km. Interviewée dès son retour, celle que l’on surnommait alors « la future Amelia Earhardt française », confiante, ambitieuse et déterminée, confiera au journaliste qui l’interrogeait : « Ce voyage Paris-Tunis-Paris sans escale qui vient après mes voyages Paris-Berlin-Paris et Paris-Rome-Paris, n’est qu’un entraînement. J’ai d’autres projets ». 

Extrait article le Figaro 14 mai 1938 ; photographie d’Élisabeth Lion prise à Istres le 13 mai peu avant son départ pour l’Iran. Plus de 700 L d’essence dans les réservoirs de son Caudron « Aiglon » lui confèrent une autonomie de vol d’environ 25 heures et un rayon d’action de près de 5000 Km. Elle compte battre le record du monde féminin de la plus grande distance parcourue dont Emilia Earhardt est encore la détentrice, avec 3939 km parcourus en août 1932 sur un Lockheed Vega.

Élisabeth Lion à la descente de son Caudron C.610 Aiglon le 15 mai 1938 au Bourget après avoir battu le record du monde féminin de la plus grande distance en ligne droite dont Emilia Earhardt – disparue moins d’un an auparavant - était jusqu’alors la détentrice. Elle a ainsi relié Istres à Abadan en Iran soit 4063 km en 21 heures de vol : partie d’Istres le 13 mai à 10h30, elle survole successivement la Corse, Naples, Athènes, Chypre, l’Asie Mineure et Bassorah à une vitesse moyenne de 194 km/h, avant d’atterrir le 14 à 6h30 à Abadan, au nord du Golfe Persique. 
Toutefois son record est battu seulement deux jours après par Andrée Dupeyron à bord de l’autre Caudron C.610 Aiglon. Elle réussit à relier Oran en Algérie à Tel El Aham en Irak soit 4360 km.

 

Photo extraite de Match du 24 mai 1938, « Trois glorieuses aviatrices de France. En haut à gauche, Mlle Maryse Hilsz ; à droite, Mme Dupeyron ; en bas, Mlle Élisabeth Lion ».

Télégramme de félicitations adressé à Élisabeth Lion par Guy La Chambre, alors ministre de l’Air

après son exploit de mai 1938:

« Vous adresse mes plus vives félicitations pour remarquable performance qui fait honneur à l’aviation féminine française »

Les récompenses et la guerre
En décembre 1938 alors que la guerre se profile en Europe, Élisabeth Lion reçoit des mains du Ministre de l’Air Guy La chambre les insignes de chevalier de la Légion d’honneur avant de remporter, quelques mois après, le Trophée national des aviatrices.

En juin 1939 elle bat le record pour avions légers en reliant Istres-Dakar, soit 4200km en 21h20. Mais elle n’aura pas le temps de réaliser le record suivant qu’elle s’était fixé : traverser l’Atlantique sud en direction de Natal (Brésil). La guerre éclate et interrompt ses rêves de performance.
En avril 1940 peu avant l’offensive allemande, elle s’engage comme volontaire et suit une formation à l’École de l’air de Bordeaux-Mérignac avec entre autres deux aviatrices de renom : Gisèle Gunepin et Jean-Marie Adèle Leydet. Élisabeth est intégrée au sein de la 4e escadrille du Groupe de Bombardement GB II/19 et espère profiter de la loi sur les auxiliaires féminins qui souhaitent s’engager comme pilotes. Mais le temps est compté et la Débâcle contredit rapidement ses plans. 
Élisabeth Lion n’accepte pas la défaite et s’engage alors dans la résistance. En 1943 elle est promue lieutenant pour la durée de la guerre dans les Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL) avant de rejoindre le Maroc. Elle recevra la Croix de Guerre.

 

 

"Amazone de l'Air" après la Libération
En 1944 Charles Tillon ministre de l’air communiste du premier gouvernement de Charles de Gaulle crée le premier corps de pilotes militaires féminins. Élisabeth est recrutée ainsi que douze autres aviatrices également détentrices de nombreux records, dont elle avait parfois déjà croisé la route : Maryse Bastié, Élisabeth Boselli, Paulette Bray-Bouquet, Andrée Dupeyron, Yvette Grollet-Briand, Gisèle Gunepin, Maryse Hilsz, Anne-Marie Imbrecq, Yvonne Jourgon, Geneviève Lefevre-Seillier, Françoise Marzellier, Suzanne Melk. Après un entraînement à Châteauroux puis un cycle d’étude à Tours, ces femmes toutes reçues sont surnommées « les Treize Amazones de l’Air ». Mais cette expérience de recrutement de femmes dans l’Armée de l’Air s’arrête tout net début 1946 après la mort de l’une d’entre elles en mission, Maryse Hilsz. Il faudra attendre 1996 pour que l’Armée de l’Air recrute à nouveau des femmes !

Elle décède le 9 janvier 1988 à Magnanville (Yvelines) et est inhumée dans le cimetière de Vincennes (Val-de-Marne). 

Sources et bibliographie
Journal des débats politiques et littéraires 26 mars 1939, « L’aviation » p4
Le Figaro, 8 avril 1938
Le Figaro, 9 avril 1938
Paris-Soir, 9 avril 1938
Match, 19 avril 1938
Le Figaro, 14 mai 1938
Excelsior, 15 mai 1938
Paris-Soir, 17 mai 1938
Paris-Soir, 20 mai 1938
Match, 24 mai 1938
Le Petit Marseillais, 4 juin 1939