NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Marguerite Petitjean, alias "Binette"

Marguerite Petitjean avec dans ses bras sa filleule, Élizabeth Antébi (Coll. Élizabeth Antébi).

Entre l’Alsace et Nice
Marguerite est née le 24 octobre 1920 à Strasbourg. Elle est la fille de Georges Petitjean, magistrat préfectoral et ancien Secrétaire Général des Pupilles de la Nation et par ailleurs grand blessé de la Guerre de 14. Devenu aveugle, il n’a jamais pu voir Marguerite ce qui a toujours attristé cette dernière. La petite fille est élevée dans l’amour de la France, à l’alsacienne. Elle lit les livres patriotiques d’Erckmann-Chatrian et autres ouvrages typiques d’Alsace, territoire à forte identité et qui, comme la Moselle, est redevenu français suite à la signature du Traité de Versailles. 
Marguerite Petitjean commence des études au lycée de Strasbourg mais, sa mère étant tombée malade et son père ayant pris sa retraite, la famille quitte sa région natale pour Nice où elle va habiter une villa des beaux quartiers du nord de la ville. Les Petitjean conservent des liens forts avec le reste de la famille restée en Alsace. Ainsi Marguerite poursuit ses études au lycée de Nice. Après avoir obtenu son certificat d’études secondaires en 1937, elle s’intéresse un temps au dessin et suit même des cours à l’École municipale de dessin de Nice. Par la suite elle continuera cette pratique en loisir.

À l’été 1939, peu avant la déclaration de la guerre, elle se trouve avec ses parents à Saint-Quirin près de Sarrebourg en Lorraine pour y passer les vacances. Le 28 août 1939, juste après la conclusion du pacte Germano-soviétique, la famille quitte Saint-Quirin pour se rendre à Still, près de Strasbourg, chez sa grand-mère. Mais en septembre lorsque la guerre éclate, la famille préfère s’éloigner du front et retourne habiter à Nice. Marguerite, qui entend souvent son père pester car il n’a pas eu de fils qui aurait pu partir en guerre, s’engage alors comme élève assistante sociale. Elle va suivre les cours à l’Ecole des Élèves Assistantes Sociales où elle va faire trois années d’études. La première année elle est affectée à l’Hôpital complémentaire de Pasteur, à Nice en qualité d’infirmière. Mais lorsque l’Armistice est signé, l’hôpital est évacué. La situation familiale des Petitjean est alors difficile ; la mère décède durant l’exode en mai ou juin 1940, et Marguerite doit ensuite accompagner sa sœur malade dans le Massif Central à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire). Elle va y rester durant trois semaines puis finalement revenir à Nice, resté en zone libre, terminer ses études à l’hôpital. Les relations avec son père, qui étaient déjà tendues, vont alors devenir très compliquées. Elle n’a pas oublié ses paroles concernant son regret de ne pas avoir de fils qui lui aurait pu s’engager et agir contre les Allemands. Elle va les garder en tête, comme un défi.

 

Débuts dans la Résistance et départ pour le Maroc
La jeune femme, très patriote, a déjà choisi son camp et est une gaulliste convaincue. En 1941 elle fait la connaissance de Nicole Bruières, une jeune infirmière étudiante qui fait partie de la Résistance. Elle confie ses premières missions à Marguerite : transporter des tracts partisans et distribuer des exemplaires du journal clandestin Libération. L’activité n’est pas sans risque ; suite à une dénonciation en juillet 1941 elle est arrêtée et effectue deux courts séjours en prison, avant d’être relâchée grâce à l’intervention de son père. En février 1942 elle obtient son diplôme qu’elle passe à Marseille. Mais Marguerite ne se plaît pas en France. Elle trouve que les évacués d’Alsace et de Lorraine sont assez mal reçus dans le midi et, consciente que quelque chose peut se passer en Afrique du Nord, elle va bientôt choisir de rejoindre le Maroc. Grâce à son amie Nicole, elle obtient des contacts avec des organisations résistantes. 
En avril 1942 elle part pour Casablanca pour occuper un poste d’assistante sociale au sein de l’Armée de l’Air, à l’Atelier Industriel de l’Air. Par l’intermédiaire du Colonel Vincent, président de l’Association des Alsaciens Lorrains, elle retrouve la Résistance et devient agent de liaison, boîte aux lettres, et fait également un peu de renseignement. Mais en août 1942 elle est à nouveau inquiétée. Le commandant Pélabon chez qui elle loge, résistant lui aussi, est découvert et s’enfuit à Gibraltar, territoire britannique. Les agents de la sûreté de Vichy vont interroger la jeune femme, à plusieurs reprises et assez durement, au point qu’elle s’en sortira tout de même avec un traumatisme crânien… 

 

Fuite à Alger puis à Londres
En novembre 1942 les Alliés débarquent en Afrique du Nord (AFN). En France, les Allemands franchissent la ligne de démarcation et occupent désormais tout le territoire. Marguerite, elle, part pour Alger et retrouve le commandant Pélabon, désormais chef de l’antenne du Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA) en AFN. Elle s’occupe de la propagande gaulliste pour le Maroc. Le 27 septembre 1943 Marguerite Petitjean quitte Alger par avion pour rallier Londres. Le 8 octobre suivant elle signe aux Forces Française Combattantes (FFC) du BCRA de la capitale anglaise. 
Elle demande à devenir agent de terrain en France. Soldat de 2e classe elle suit dès lors les formations dispensées par la Royal Air Force et effectue de longs stages de parachutage, de close-combat ainsi que la formation théorique proposée aux futurs agents secrets envoyés en mission en zone occupée. « Intelligente, imaginative, travailleuse, ayant de l’autorité, déterminée, ayant le sens de l’humour » sont les qualificatifs, plus que positifs, employés par ses instructeurs pour la définir lors des évaluations. Le colonel Maurice de Cheveigné, radio-opérateur puis collaborateur un temps de Jean Moulin, la remarque et la sélectionne pour être courrier dans une organisation en France. Alors que s’ouvre l’année 1944 elle est prête à être envoyée en mission sur le terrain. Entre-temps elle aurait auparavant participé à une tentative de faire évader Moulin, après son arrestation le 21 juin 1943 et avant sa mort en juillet en Moselle.

 

Marguerite, alias « Binette », en mission sécrète en France
La jeune femme de 23 ans est parachutée la nuit du 29 au 30 janvier 1944. Sa mission est d’œuvrer comme officier de liaison aux côtés d’Yvon Morandat, alias « Arnolphe », chargé par de Gaulle de faire la liaison avec les syndicats et les partis français et de les préparer au Débarquement. Marguerite travaille par ailleurs avec Robert Burdet, alias « Circonférence », comme adjointe au responsable atterrissages parachutages et pour assister Alexandre Parody, l’homme qui a succédé à Jean Moulin. Marguerite, alias « Binette », est la première femme du réseau action du BCRA à sauter en parachute en France occupée ! Au total, elles ne furent que six femmes parachutistes… Les conditions de saut sont très difficiles à cause d’un épais brouillard qui empêche l’équipage de voir le sol. Le pilote décide de persister et tente de rejoindre le terrain « Ajusteur » près de Saint-Uze dans la Drôme, au-dessus duquel il doit larguer sa cargaison et les agents. Il serait vraiment dommage de devoir faire demi-tour comme cela s’est produit quelques jours auparavant. Heureusement l’équipe de résistants qui les attend au sol, dont Henri Faure, un des chefs de la Section Atterrissages et Parachutages (SAP), dispose d’un système Eureka dont le signal radio permet à l’avion de se repérer. Binette attend durant une vingtaine de minutes le signal du « dispatcher » pour se lancer, installée au bord de la trappe du Halifax, les jambes dans le vide et enveloppée d’un froid glacial qui s’engouffre au-dessous d’elle. Elle est littéralement gelée lorsqu’elle saute enfin ; de plus elle ne voit rien. A l’approche du terrain, elle ne parvient même pas à distinguer les balises du terrain. Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures que les résistants la trouveront, elle et ses trois compagnons de saut. Une chance pour eux : à l’approche de l’aube, le brouillard épais les protège de l’avion-mouchard allemand qui patrouille dans le secteur à la recherche de terrains clandestins de parachutages. 
Le lendemain, la jeune femme très ennuyée confie à Henri Faure avoir perdu une combinaison de femme en soie qu’elle tenait enroulée autour de sa taille et qui a glissé lorsqu’elle a ôté sa tenue de parachutiste. Ils retournent ensemble sur le terrain et retrouvent finalement le vêtement dans une ferme près de là. Binette ne dira rien et offrira finalement la combinaison à la fermière, ce qui fera penser au chef SAP qu’elle devait contenir dans sa doublure un code ou un microfilm. 

Maintenant qu’elle est en France, Marguerite peut mener à bien sa mission. Outre ses fonctions d’officier de liaison, elle participe à de nombreuses opérations de sabotage avant et après le Débarquement du 6 juin : il s’agit d’empêcher l’ennemi d’utiliser les ponts et de porter atteinte aux centrales électriques, de gêner les unités allemandes qui voudraient rejoindre la Normandie. Elle devient la première femme du réseau Action du BCRA à être nommée Déléguée Militaire Régionale Adjointe de la Région 2 ou « R2 », c’est à dire le quart sud-est, sa base étant à Marseille. Son action entre Cannes, Nice, Antibes et la cité phocéenne est très efficace, au point que bientôt, elle est activement recherchée par la Gestapo qui met sa tête à prix. Blessée au cours de l’une de ces opérations, elle est capturée par deux soldats à qui elle réussit à fausser compagnie. Elle s’enfuit en Espagne en passant par les Pyrénées. Après un autre saut en France, elle sera blessée aux vertèbres et gardera des séquelles quelques temps. 
Nommée capitaine, elle reçoit à l’âge de vingt-trois ans la Légion d’Honneur et la Croix de guerre, plusieurs fois, pour actes de bravoure. Elle est même décorée par le Général de Gaulle en personne. Revancharde, elle envoie sa Légion d’Honneur à son père pour lui prouver qu’elle peut faire au moins aussi bien qu’un homme. Lui-même a reçu cette décoration à l’âge de vingt-cinq ans…

Après la fin de la guerre, en 1946, elle épouse un Américain, Harry Hood Bassett, futur président d’une grande banque Elle, l’ancien soldat, intègre la « haute-société » ! Elle découvre un nouveau monde : en cadeau de fiançailles elle reçoit des « vertèbres de platine », c’est-à-dire que son riche fiancé lui offre une opération qui la sauve d’une paralysie certaine. Elle vit désormais en Floride où elle décèdera en août 1999. Elle aura eu trois fils : Harry, Patrick et George et huit petits-enfants. Un article du Miami Herald en date du 5 août 1999 lui est consacré. Sa belle-fille qui témoigne alors dira d’elle qu’elle était une femme attachante et prévenante, qui était en même temps très sévère, et elle ajoutera : « You really saw the soldier in her ». 

Témoignage de sa filleule, Madame Élizabeth Antébi : pour connaître un peu mieux le caractère de Marguerite Petitjean 
« Moi, en tant que filleule, j’ai plutôt vu un substitut de mère en elle et une femme très féminine, voire sexy. À Grasse, où elle avait sa maison et où je suis allée souvent, elle avait décoré sa chambre avec peau d’ours par terre et plumes de cygnes sur le lit. Elle avait aussi deux bergers allemands et un lévrier greyhound, Heidi, de ceux que les Allemands utilisaient pour chasser les fuyards : elle avait décidé d’en dresser une à être gentille, pour une fois de plus les combattre autrement, et Heidi était adorable.
C’est vrai qu’elle avait parfois un comportement qui évoquait la guerre, mais elle savait aussi me masser, enfant, pour m’endormir. Elle était magnétique, avec de grands yeux noirs et une bouche de star de Hollywood. 

Dimanche 23 juin 1946, je n'avais même pas un an que Binette se mariait à Notre-Dame avec son millionnaire américain, ce fringant officier qui lui avait offert ce cadeau peu banal, des vertèbres de platine. Ne se fit-elle pas à la vie américaine ? Je me rappelle l'avoir rencontrée à chaque passage à Paris, à l'hôtel Royal Monceau, toujours joyeuse et dynamique, parfois un peu mélancolique. En 1955, elle s'est séparée de son Hood. Trois ans plus tard, Hood épousait la patronne des meubles Knoll, Florence, qui avait le même âge que Binette et un peu la même dégaine. 
Quand on pense qu'elle a eu trois fils banquiers américains, comme leur grand-père, le père de Hood, qui avait fondé la banque à Palm Beach - La vie a de ces raccourcis ... »

Binette et à ses côtés son mari Harry Hood (Coll. Élizabeth Antébi). Derrière eux, le père de Madame Antébi, parachutiste SAS.

Sources et bibliographie
Merci à Madame Élizabeth Antébi, la filleule de Marguerite Petitjean, pour les photos.
Articles du Miami Herald du 5 aout 1999
« Agents françaises » de Bernard O’Connor
« Etais-je un terroriste ? » Henri Faure
Operation record book de l’escadrille 138 de la Royal Air Force pour l’opération du 29/30 janvier 1944
www.Messages-personnel-bbc-39-45.fr