NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Antonia Lafond, militante résistante de la Loire

Des origines modestes
En 1940 Antonia Lafond est une jeune institutrice de vingt-six ans.

Dans le courant de l'année 1918 les Lafond s’installent à Moingt puis à Savigneux deux communes situées près de Montbrison, capitale du Forez (Loire). La famille est de modeste condition : Pierre son père est employé des chemins de fer et sa mère Marie Peronnet est ménagère. Elle a un frère, Antoine né en 1912 et une sœur, Gilberte née en 1916. La mère d’Antonia, fille de paysans, n’a pas reçu d’instruction car son père qui avait besoin d’elle pour l’aider au travail à la ferme s’y est opposé. Elle était pourtant convaincue que si elle avait pu étudier, elle aurait trouvé un emploi plus rémunérateur et aurait pu se libérer des nombreuses contraintes liées à la précarité.

 

« Elle était ménagère, jardinière, tirait l’aiguille, ne s’arrêtait jamais de travailler, reportant sur ses enfants l’espoir de les voir se libérer de la servitude que crée le manque de moyens financiers »
Antonia à propos de sa mère  

Portrait d'Antonia Lafond, Coll. Marie-Claude Collay 

Les conditions de vie de la famille sont difficiles ; la maison est petite et Antonia doit notamment partager sa chambre avec sa sœur. Dans ses souvenirs sa mère se prive en permanence pour sa famille, tandis que son père, lui, n’hésite pas à dépenser une partie de sa paie pour aller boire un verre au café avec ses amis. C’est à cette époque pense t'elle que germe dans son jeune esprit les prémices d’un questionnement sur le droit des enfants.

 

 

Des convictions anticléricales et égalitaires 

La famille n'est pas pratiquante. Mais au début du XXe siècle la société française ne voit pas forcément d’un bon œil ceux qui rejettent le catholicisme. Aussi les enfants Lafond suivent-ils les cours de catéchisme comme les autres. Mais depuis le vote de la Loi de séparation des églises et de l’État de 1905, la laïcité ne cesse de progresser. Son principe séduit la jeune Antonia au point que par la suite elle rejettera le fait religieux lui-même, le renvoyant strictement à la sphère privée de chacun. Lucide sur sa condition et d’un caractère persévérant, sa mère veut que ses filles étudient, coûte que coûte. Dès l’âge de six ans la petite fille va à l’école de Savigneux et à douze ans elle obtient son Certificat d’Études haut la main : elle termine en effet première de son canton. Sa sœur Gilberte effectue elle aussi un brillant parcours.
Antonia dotée d’une forte personnalité a forgé très tôt ses convictions. Elle a d’abord intégré le cours complémentaire de Montbrison grâce à une bourse : l’École de la République et la ténacité de sa mère lui ont permis de faire des études. Mais plus elle grandit, plus elle ressent les inégalités sociales au point de se rendre malade. A l’adolescence ces préoccupations exacerbées muent en obsessions au point qu'elle va refuser de s’alimenter pendant plusieurs mois. Elle surmonte finalement ses angoisses mais la lutte contre l’injustice sociale restera un credo tout au long de sa vie. Elle prépare ensuite et réussit le concours de l’École Normale de Saint-Etienne pendant lequel elle noue des liens très forts avec une dénommée Marie-Louise Peyre, pour qui elle gardera durant toute sa vie une grande admiration. Durant ses années d’étude la jeune femme s’intéresse aux écrits de Léon Trotsky ainsi qu’à la psychologie ce qui lui permet de forger une autre de ses certitudes : les individus étant modelés par leur milieu d’origine, il faut agir sur le milieu afin de changer leur comportement. Antonia est aussi admirative de l’humanisme de Voltaire et de son combat contre le clergé et plus généralement contre l’Église qu’il désigne comme « l’Infâme ». Enfin elle pense que l’étude de Spinoza et plus particulièrement de sa règle « Ni rire, ni pleurer, comprendre » lui a permis comme elle le dit elle-même de se « libérer de la religion ». 
Jeune diplômée, elle obtient sa première affectation comme institutrice à l’âge de vingt ans. Elle est alors une adulte réfléchie, dotée d’un esprit critique et qui a forgé elle-même son système de pensée depuis longtemps. La laïcité, qui selon sa définition permet de garantir la liberté d’être religieux ou non, devient un autre de ses principes directeurs. 

 

 

L’institutrice militante
Elle part pour Lérigneux, un petit village perché à 920 mètres d’altitude non loin de Montbrison où elle exerce en Maternelle. Antonia adore les enfants et fait preuve de grandes compétences pédagogiques, reconnues lors de ses inspections. Elle est une adepte de la Méthode Frénet, pédagogie alternative moderne qui place l’enfant comme acteur de son apprentissage et qui est en accord avec ce qu’elle pense du milieu social. Il lui faut former des jeunes citoyens capables plus tard de prendre en main leur devenir.
Une querelle vient toutefois troubler l’exercice de sa profession. Le village a conservé d’anciennes habitudes totalement contraires aux principes laïcs d’Antonia. Malgré l’entrée en vigueur de la Loi de Séparation des Églises et de l’État près de trente ans auparavant, le curé du village reste un notable et un référent respecté et écouté. Un jour ce dernier vient demander à la nouvelle institutrice de contribuer au denier du culte. Antonia est révoltée ; en tant que laïque convaincue, qui plus est anticléricale, elle refuse catégoriquement de s’exécuter et renvoie poliment le Curé, outré. La mésentente est vive au point que l’homme d’église tente de monter ses ouailles contre elle lors de ses sermons. Elle ne réussit pas à s’imposer mais reste fidèle à sa pensée contre vents et marées. Dès la fin de l’année scolaire elle est mutée à Grézieux-le-Fromental, une petite commune agricole située à quelques kilomètres à l’est de Montbrison. L’institutrice qui durant ces années se préoccupe aussi des conditions de travail des ouvriers bascule bientôt dans l’action et dans le militantisme en adhérant à la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). Elle suit avec un grand intérêt les revendications salariales et la lutte qui mène à l’instauration de la semaine de quarante heures et des congés payés sous le Front Populaire de Léon Blum en 1936. Mais elle est en désaccord avec la décision de non-intervention en Espagne du Président du Conseil. Elle décide alors de quitter le parti socialiste et de rejoindre les Communistes de la Quatrième Internationale, organisation créée en France par le révolutionnaire et homme politique soviétique Léon Trotsky* en 1938. 

*Après l'assassinat de Trotski en 1940, ses militants sont désemparés. En France la plupart d'entre eux refusent le combat contre l'Occupant. Ils souhaitent rallier les ouvriers allemands à leur cause, ouvriers qui sont à ce moment-là des soldats de la Wehrmacht. Comme nous allons le voir, ce ne sera pas le cas d'Antonia du moins après sa rencontre avec le résistant Louis Fouilleron fin 1940. 

Photographie du château de Grézieu-le-Fromental, ©Région Rhône-Alpes, inventaire général du patrimoine culturel

Vue de Lérigneux (Monts du Forez), ancienne carte postale

La résistance comme évidence 
La rencontre avec Louis Fouilleron
La guerre puis la Débâcle arrivent très vite. Antonia comme ses concitoyens subit impuissante les événements et est toujours en place à Grézieux-le-Fromental lorsque le régime de Vichy s’impose. Louis Fouilleron est un professeur de français originaire de cette petite commune du Forez. Au moment de l’invasion allemande il exerce à Paris mais il ne conçoit pas de rester en zone occupée et il demande rapidement son affectation au sud. Il vient finalement travailler à Montbrison. Marxiste convaincu, il exprime des opinions défavorables au gouvernement de collaboration et très vite il est muté par Vichy près de Lyon. Il s’engage dans la résistance et intègre le groupe Coq Enchaîné qui œuvre entre le Rhône et la Loire. Il est chargé entre autres de recruter des personnes pour les comités de réception des parachutages clandestins de matériel en provenance d’Angleterre. Les opérations spéciales organisées par ce groupe français dont les dirigeants sont implantés à Lyon, à Saint-Etienne et à Rive-de-Giers, sont menées en différents endroits : dans le Forez mais aussi à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Lyon aux environs de Mornant et dans la Plaine de Berthoud sur le territoire de la commune de Taluyers. Dans le cadre de son combat dans la résistance, Fouilleron a conservé des liens avec son village natal. Ayant vécu en Alsace, il donne désormais des cours d’allemand qu’il parle couramment. Fin 1940 sa route va croiser celle d’Antonia. La jeune femme, décide de prendre des cours** et elle se rend ainsi chez Fouilleron sans savoir qu’il est en quête de résistants. Femme de caractère qui a suivi des études et qui plus est hostile à Vichy, elle correspond au profil qu’il recherche : une personne dotée de capacités d’organisation, capable de défendre ses convictions auxquelles elle serait fidèle et prête à contribuer discrètement à la lutte contre l’occupant. Après l’avoir questionnée sur ses opinions et sa confiance acquise, il lui demande fin 1941 si elle est prête à s’engager dans la résistance afin de l’aider à organiser un réseau. La jeune femme accepte. Elle propose elle-même de chercher des personnes de sa connaissance afin de constituer un groupe chargé de la réception des parachutages clandestins. A la même époque son frère Antoine, militant syndicaliste du milieu métallo dont pourtant elle n’est pas très proche, s’engage lui aussi dans la lutte antinazie.

**Était-ce dans l'optique de pouvoir établir un lien avec l'Occupant, comme ont tenté de le faire la plupart des Trotskistes pour lesquels le combat contre la bourgeoisie et l'impérialisme et pour la défense des ouvriers passait avant la défense de la Nation? Impossible de répondre à cette question mais ce qui est sûr, c'est qu'elle s'est laissée convaincre de résister courant 1941...

 

Une équipe de réception pour les parachutages clandestins
A partir de là Antonia participe en lien avec Louis Fouilleron à l’organisation de plusieurs parachutages durant l’été 1942 en recrutant les hommes du groupe baptisé « Montbrison ». Elle s’occupe de réunir des paysans et des ouvriers de son entourage en qui elle a toute confiance afin de les convaincre de s’engager avec elle. Un jour elle sollicite notamment la participation de Madame Marnat, la mère de l’une de ses élèves qu’elle estime. C’est ainsi que Pierre Marnat, paysan de Grézieux-le-Fromental et son frère Antoine, fermier résidant à Mornand-en-Forez sont intégrés au groupe. Elle demande également aux membres de la famille Chave, amis des Marnat, s’ils souhaitent contribuer à la lutte. Ces derniers acceptent malgré les risques encourus que tous connaissent. Ils sont encore plus exposés que les autres puisqu’ils sont fermiers chez le maire, vichyste convaincu. De fil en aiguille Antonia recrute également un demi-frère et un beau-frère de Chave, ouvriers à Savigneux et encore un ami, Bory de Sury, ainsi qu’un ancien élève de Fouilleron et employé de banque, Griviller. Une fois qu’Antonia a contacté ces personnes puis obtenu leur accord, elles sont conviées à une rencontre avec le professeur qui leur présente l’action du réseau, leurs buts et ce qu’on attend d’eux. Antonia est assez admirative de Fouilleron qui est un bon orateur et qui en effet n’a guère de mal à convaincre son auditoire. Un agent du Special Operations Executive (SOE) section F (France), répondant au nom de Alain Jickell, est quant à lui chargé de la recherche de terrains qu'il serait facile de repérer depuis les airs et à l’écart de la population, susceptibles de plus de recevoir du matériel ou des hommes parachutés. Le Capitaine Boiteux pour le réseau anglais Spruce et François Pointu pour l’antenne de Coq Enchaîné dans la Loire supervisent l’ensemble des opérations durant cette période. Louis Fouilleron s’occupe également d’assurer la liaison entre Lyon et un certain « Henri » , agent du SOE. 

 

Les opérations spéciales
Le régime de Vichy tente de lutter activement contre ces opérations spéciales et les gendarmes sont chargés de surveiller et de traquer les résistants qui y participent. Le soir du 1er juillet 1942 les hommes du groupe Montbrison sont réunis dans une ferme, silencieux et attentifs, assis autour du poste radio branché sur les ondes de la BBC. Ils attendent le message de confirmation du parachutage attendu depuis plusieurs jours. Lorsque le speaker prononce à deux reprises « Louis a bien trouvé ses vélos », l’équipe déjà prête se rue à l’extérieur. Antonia et Louis restent sur place. Les hommes de main se rendent sur un terrain un peu à l’écart de la commune de Montverdun, à environ quatorze kilomètres au nord de Montbrison. Ils se glissent dans la nuit faiblement éclairée par le clair de lune et attendent patiemment la venue de l’appareil anglais. Après le passage du Halifax du squadron 138 les containers sont ramassés et le matériel chargé dans des caisses spécialement fabriquées par un menuisier à l’arrière d’une camionnette. Le travail n’est pas terminé pour autant : il faut maintenant cacher le tout chez un ami de Saint-Rambert-sur-Loire en attendant de pouvoir l’acheminer à Lyon comme cela a été préalablement convenu. 
Trois autres opérations gérées par le groupe Montbrison ont lieu alors qu’Antonia Lafond continue d’œuvrer pour le réseau en recrutant des personnels et tandis que l’étau se resserre. Les hommes de l’équipe au sol se retrouvent à nouveau sur le terrain de parachutage « Milan » à Boisset-lès-Montrond le 24 juillet pour cette fois-ci la réception de deux radios-opérateurs chargés de la liaison avec Londres et dont le rôle est primordial dans la lutte clandestine. Ce soir-là le pilote anglais Rymills et son équipage aux commandes d’un appareil du squadron 138 de la RAF ont réussi la mission « Crayfish – Brill » et le parachutage des deux hommes se fait sans encombre. Une nouvelle opération a lieu à Grézieux-le-Fromental le 27 août 1942 à la demande du SOE et ce malgré les risques grandissants. L’institutrice en vacances réside alors à Montbrison, dans sa famille. Mais elle ne fait pas de pause dans son combat pour lequel elle a davantage de temps à consacrer et continue d’aider le réseau. Avec Fouilleron, Griviller et Henri, elle se rend sur place, derrière un petit bois et près de la ferme où travaillent la famille Chave. L’opération a été un peu laborieuse : il s’agit de la seconde tentative à cause d’un problème de signalisation. Mais cette fois est la bonne, le parachutage est une réussite et le matériel récupéré est placé en lieu sûr. Immédiatement après cette opération, Fouilleron est arrêté sur dénonciation. Antonia n’est pas encore inquiétée mais ce n’est plus qu’une question de jour.
Le 23 septembre 1942 un ultime parachutage se déroule à la ferme de la Jarlette à quelques centaines de mètres au sud de Mornand-en-Forez et ce encore une fois malgré le danger. Depuis quelques temps en effet les autorités guettent la moindre nouvelle concernant les parachutages dans le secteur du Forez et commencent à disposer de plusieurs informateurs.

Cartes postales anciennes (Loire): vues de Montverdun, Boisset-lès-Montrond et Mornand-en-Forez

Indiscrétions et arrestations
Les premiers résistants ne font pas toujours preuve d’une grande prudence : heureux d’être appelés à l’action ils sont quelques vantards à parler sans précaution des réunions, des parachutages et du matériel récupéré. Ou bien quelque peu naïfs, ils se confient facilement sans penser aux conséquences. Ils ne connaissent pas encore la réalité de la violence des interrogatoires et des camps mais ils sont rapidement rattrapés par la réalité. Ce soir du 23 septembre l’opération est trop longue ; l’appareil survole laborieusement le terrain à plusieurs reprises avant enfin de larguer sa cargaison. Des villageois alertés par le bruit appellent les gendarmes. Rapidement trois brigades arrivent sur les lieux au moment où les hommes de l’équipe terminent d’enterrer le matériel. Ils sont arrêtés et emmenés à la prison de Montbrison, inculpés de « complot contre la sûreté de l’État ». Le 19 octobre ils sont emmenés en train à Clermont-Ferrand et l’affaire est confié au Tribunal Militaire. 
 Ce parachutage est le dernier auquel participe Antonia. La plupart du temps elle n’est pas présente lors des opérations mais elle a pourtant été arrêtée une première fois le 24 septembre alors qu’elle se rendait chez Madame Marnat à Grézieux-le-Fromental. Interrogée durant deux heures au poste de la gendarmerie de Montbrison, elle a été dans un premier temps relâchée faute d’aveu et de preuve. Mais une semaine après, elle est arrêtée pour de bon. Il semble que Griviller appréhendé avec des journaux du réseau Coq Enchaîné sur lui a, sous l’effet des coups qui lui sont portés lors de son interrogatoire, indiqué son nom comme responsable de l’organisation. Elle est incarcérée à Montbrison où elle reste dix-neuf jours.

 

« Je vous défends de m’insulter, d’abord parce que vous êtes Procureur de justice, ensuite parce que vous êtes un homme ; je n’ai rien à me reprocher ».
Propos tenus par Antonia Lafond face à la réaction peu amène du procureur qui lors de son arrivée à la prison de Montbrison l’a traitée de « sale femme » et de « saleté ». 

Un jugement clément pour Antonia Lafond
Elle rejoint ensuite les autres membres du groupe à bord du train pour Clermont. Dans un premier temps son caractère bien trempé ne joue pas en sa faveur : le maire vichyste et le curé, qui ne la voyait pas assez à la messe, viennent témoigner et l’accablent ; son avenir à ce moment-là se présente plutôt mal. Elle est incarcérée à la prison civile avec une vingtaine d’autres femmes accusées de délits de droit commun. Les conditions de vie et d’hygiène sont plutôt spartiates dans une pièce ridiculement petite pour autant de monde : chaque prisonnière dispose d’une paillasse et peut s’assoir sur des bancs de bois disposés le long du mur. Il leur est permis une demi-heure de sortie seulement dans une cour où se trouve une arrivée d’eau froide et des toilettes à la turque. Antonia ne reste toutefois pas inactive : elle profite de ce désœuvrement pour penser à autre chose et écrire à sa famille.
Elle va heureusement bénéficier d’un régime plutôt souple. Il semble que l’intervention en sa faveur du juge d’instruction de Clermont-Ferrand, le Colonel Leprêtre, soit décisive. Dès le lendemain de son arrivée, elle est convoquée au Tribunal militaire, là même où avait été condamné le député Pierre Mendès-France plus d’un an auparavant. Après l’avoir interrogée en présence du greffier, le juge lui propose de loger une dizaine de jours dans un hôtel face à la gare de Clermont en échange d’une simple promesse de ne pas s’échapper. Antonia bien sûr accepte. Durant cette période et lors d’un autre interrogatoire, Griviller revient sur ses propos et la disculpe, affirmant qu’il avait donné son nom parce que le premier à lui être passé par la tête, uniquement pour faire cesser les coups qu’on lui portait. Après une enquête de moralité jugée satisfaisante la jeune femme est placée en résidence surveillée à Pélussin. Interdite d’enseigner en attendant le verdict, Antonia, débrouillarde, parvient à subvenir à ses besoins en aidant une élève pour son brevet élémentaire. Alors qu’elle était promise à la déportation elle bénéficie finalement d’un non-lieu dans cette affaire  ; elle est réintégrée dans l’Éducation Nationale et nommée en avril 1943 dans le sud du département de la Haute-Loire. D’autres ont eu beaucoup moins de chance : certains des membres du comité de réception sont déportés en Allemagne au camp de Buchenwald. Quant à Louis Fouilleron, interné à au camp de concentration de Saint-Sulpice (Tarn), il réussit à s’en échapper et rejoint le maquis.

 


Après la guerre, le retour au militantisme
Antonia reprend ses activités militantes qu’elle poursuit d’ailleurs une fois à la retraite. Elle assure la publication d’une «Chronique de la Répression» parue dans le bulletin du Syndicat National des Instituteurs (SNI) dans laquelle elle continue inlassablement à défendre le combat laïc et l’émancipation des ouvriers. Dans les années 1970 elle suit avec grand intérêt les travaux du journaliste allemand Günter Wallraff qui utilise l’infiltration comme méthode d’investigation afin de mieux dénoncer les méthodes de sa cible. Il se fait connaître notamment lors de son immersion dans une entreprise de sidérurgie au milieu des années 1980. Dans la peau d’un travailleur immigré turc il dénonce des conditions de travail affreuses. 
En 1993, elle décide de rédiger des mémoires, agrémentées d’une compilation d’écrits personnels et d’archives en annexe, un ouvrage dans lequel elle détaille les raisons de son engagement et justifie son action : antinazie convaincue elle n’a jamais assimilé le peuple allemand à ses dirigeants. Elle souligne que la guerre était une guerre impérialiste, que les peuples allemands comme français étaient écrasés. Résistante oui, mais la définition ne lui convient pas ; elle ne veut ni défendre la «patrie de Pétain», ni celle de «l’homme du 18 juin» appelant à sauver un État "colonialiste" qui selon ses propos perpétue l’exploitation de l’homme par l’homme. 

 

« Ma résistance ne pouvait se réclamer que de la défense de la Démocratie authentique »

 

Opposée également au communisme stalinien, elle défend une conception philosophique et internationaliste de la résistance. Humaniste, elle place toujours l’individu au premier rang. Aussi après la guerre est-elle révoltée que certains résistants se mettent en avant dans les médias et sur la scène politique alors que d’autres, dont le rôle a été tout aussi important, tombent dans l’oubli. 

Antonia s’est mariée à deux reprises, la seconde fois avec un certain Monsieur Gleichert dont elle portera le nom le reste de sa vie. Sa forte personnalité, empreinte de convictions et de franchise lui a valu de nombreuses inimitiés. Elle est morte dans un relatif isolement le 25 août 2006 dans un établissement pour personnes âgées de Saint-Etienne (Loire) et inhumée tout près à la Tour-en-Jarez où elle avait vécu de nombreuses années durant. 

 

 

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Sources, bibliographie 
Archives Départementales de la Loire :
1132 W 36 : dossiers des personnels enseignants 
2 E 157 : registre d’état civil des naissances
23 J 8 : Faits de résistance, fiches d’enquête par commune (Grézieux-le-Fromental)
23 J 11 : études sur la résistance et les mouvements collaborationnistes
« Parcours d’une militante, de la laïcité à l’internationalisme, avec quelques mises au point à propos de Résistance », par Antonia Lafond-Gleichert, édité par le Courant Communiste Internationaliste du Parti des Travailleurs (fédération de la Loire), janvier 1993

Remerciements

À Monsieur Pierre Roy, ancien Président de l’association la Libre Pensée de la Loire et qui a personnellement connu Antonia Lafond,

À Madame Marie-Claude Collay pour le portrait d'Antonia Lafond, 
À Monsieur Calogero Minacori, Président de l’association de la Libre Pensée de la Loire.