NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Anne-Marie Bauër

résistante déterminée et audacieuse

Enfance et études 
Anne-Marie naît à la veille de la Première Guerre mondiale le 9 juin 1914 au 10, rue Pierre Curie dans le 5e arrondissement de Paris, non loin des Jardins du Luxembourg, dans une famille aisée. Le couple formé par sa mère Lucie Renée Kahn, d’origine lorraine, et son père Henry Edmond Georges Bauër, parisien et professeur suppléant de l'École de Physique et de Chimie, a déjà donné naissance à un garçon, Michel, deux années auparavant. La mobilisation générale est proclamée le 2 août; quelques jours après, Monsieur Bauër est gravement blessé sur le terrible champ de bataille de Charleroi (Belgique) lors du choc frontal et brutal avec l’armée allemande. La guerre est donc terminée pour lui mais elle lui laisse un souvenir bien particulier. L’un de ses poumons a été perforé par une balle et nécessite des soins particuliers. Il est rapidement transféré à Zurich (Suisse) où sa famille le rejoint et où les deux frères et faux jumeaux d’Anne-Marie, Étienne et Jean-Pierre, verront le jour en 1918. 

Vue aérienne ancienne du Jardin du Luxembourg, Paris 5e

Après la guerre et une fois rétabli, il est nommé maître de conférence à la Faculté des Sciences de Strasbourg. Anne-Marie passe donc une grande partie de son enfance dans l’ancienne capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, où se produisent durant plusieurs années encore après le rétablissement de la paix l’épuration et l’expulsion de nombreux "germanophiles ". Si la jeune femme qui grandit dans un milieu cultivé est attirée par les arts et la pratique du violon, elle est également la seule petite fille de la famille dont le caractère se forge en compagnie de garçons. Son père a pris l’habitude de la traiter comme l’égale de ses trois autres enfants. Très jeune elle commence avec lui la pratique de l’ascension en haute-montagne et atteint 3 000 m à l’âge de 12 ans. Les clubs alpins sont en plein essor en ce début du XXe siècle ; ce sport attire aussi la gent féminine et la petite Anne-Marie ne fait pas figure d’exception. Quelques femmes ont d’ailleurs déjà laissé leur nom dans l’histoire de l’alpinisme entre les années 1890 et 1920. Mais cette activité doit toujours se faire sous la tutelle d’un homme, la bienséance imposant la présence d’un guide masculin pour mener ces dames vers les sommets. 

 

Ci-contre, photographie d'alpinistes en pleine ascension au début du XXe siècle

Anne-Marie poursuit par ailleurs de brillantes études, à l’instar de ses frères. Elle obtient sa licence d’anglais et effectue en parallèle une étude sur la romancière britannique Emily Brontë et la nature. Étienne quant à lui est étudiant en histoire de l’art et prépare l’École des Chartes, qu’il ne pourra toutefois pas intégrer à cause de la guerre.

 

 

Un grave accident  
Peu avant la guerre, un accident en montagne va bouleverser sa vie. Le 3 septembre 1937 elle part en excursion avec son frère aîné Michel et Ernest Chapelland, guide de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie). Mademoiselle Bauër âgée de vingt-trois ans est maintenant plutôt expérimentée en la matière et ce n’est pas la première fois qu’elle part à l’assaut du Mont-Blanc. Après s’être retrouvés en Gare du Fayet les trois compagnons montent à bord du funiculaire du Montenvers pour rejoindre la Mer de Glace. Encordés, ils débutent l’escalade de l’Aiguille du Midi, Chapelland en premier, Anne-Marie en deuxième et Michel en dernier. Tout se déroulait normalement jusqu’à ce que l’orage se lève peu après leur départ. Tous trois connaissent bien les dangers de la montagne en ces circonstances et le groupe se hâte afin de trouver un abri. Le drame survient avant qu’ils en aient eu le temps : ils sont subitement frappés par la foudre. Chapelland meurt sur le coup, le frère et la sœur, blessés, sont secourus par une caravane. Anne-Marie, gravement brûlée et intransportable, est longuement hospitalisée à Chamonix. Encore fragile, elle rentre à Paris à l'automne, transportée en wagon-lit. Malgré l’attention de sa mère qui va prendre soin d’elle dans l’appartement familial du 6, Place Panthéon, elle doit suivre un traitement au radium afin de calmer les douleurs intenses causées par ses brûlures. La jeune femme se remet au travail malgré tout et tente de passer l’agrégation, mais, en dépit de ses efforts, elle échoue à l’examen. L’année suivante alors que la guerre se profile en Europe, elle décide de ne pas rester inactive. Elle passe alors son permis poids lourd dans le but de pouvoir conduire une ambulance. Les événements internationaux se précipitent ensuite. La guerre est déclarée le 3 septembre 1939 et pour la seconde fois au XXe siècle, la mobilisation est proclamée. 

 

 

 

Une fratrie de résistants 
Les trois frères Bauër, Michel, Étienne et Jean-Pierre, âgés d’une vingtaine d’années, sont tous trois mobilisés. Leur sœur ne veut pas être en reste et souhaite s’engager elle aussi. Appelée au Bourget en 1939, munie de son permis, elle espère se joindre en mai 1940, après le début de l’offensive allemande, à un groupe d’ambulancières partant pour le front sous les ordres de Madame Champetier de Ribes. C’était sans compter le désespoir de sa mère qui, ayant déjà vu partir ses trois fils à la guerre, refuse que sa seule fille y prenne part. Celle-ci cède à Madame Bauër et, avec ses parents, part en Corrèze chez des amis loin du front de l’est. Sur place, elle parvient toutefois à se rendre utile et à apporter sa contribution en portant assistance aux réfugiés dans un centre dédié. 
Après la défaite française en juin Michel qui était artilleur alpin rejoint un maquis de Haute-Savoie avant de s’engager auprès de Pierre Sudreau, au sein du réseau résistant Brutus. Jean-Pierre, officier d’artillerie, parvient à gagner Saint-Jean-de-Luz et relie l’Angleterre en juin ou juillet. Quant à Étienne, affecté à un peloton de cavalerie motorisé, il se trouve séparé de son jumeau mais est déterminé à s’engager dans la Résistance. 

Pendant ce temps le couple Bauër et leur fille gagnent Beaumont près de Clermont-Ferrand qui se trouve encore en zone libre et où la Faculté de Strasbourg a trouvé refuge. Ils côtoient des Français hostiles à la collaboration, certains ayant d’ailleurs pu entendre l’appel du Général de Gaulle. Anne-Marie qui évolue dans ce milieu et est une femme d’action est rapidement convaincue qu’elle doit s'opposer au régime. D'autant plus qu'entre temps son père s'est trouvé mis à la retraite d'office, fin de 1940, suivant les lois antisémites appliquées par Vichy*. L'événement, pour le moins injuste, a certainement été mal vécu par la famille et la jeune femme se tourne vers Étienne, parvenu à intégrer le mouvement Libération Sud. C’est lui qui va l’introduire dans la Résistance dès le mois de mars 1942. 

*Monsieur Bauër était d'origine juive, probablement par sa mère Irma Meyer

 

 

Activités clandestines 
Anne-Marie Bauër, alias « Claudine », fait preuve de qualités indéniables et s’affirme rapidement parmi les résistants, un milieu plutôt masculin. À la demande de son frère, elle vient le rejoindre à Lyon rue Pierre Corneille où il réside. Elle entre alors dans un nouveau monde, clandestin, dans lequel elle assiste à des réunions et rédige des articles pour le journal Libération. Parfois elle est chargée d’emmener des tracts anti-service volontaire de travail en Allemagne du côté de Montpellier. Durant cette période elle rencontre entre autres Jean Cavaillès, l’un des co-fondateurs de Libération sud, le couple résistant Lucie et Raymond Aubrac et Yvon Morandat, membre du comité directeur de Libération sud. 
En juin, après quelques semaines d’activité, Anne-Marie quitte le mouvement Libération pour la « Délégation de Lyon », l’une des antennes de la « Délégation générale de Paris ». Elle s’installe 11, rue Chalopin dans le 7e arrondissement, non loin des quais du Rhône, et intègre une petite équipe dirigée par Paul Schmidt alias « Kim », assisté de Gérard Brault alias « Kim W ». Elle-même sera « Kim 1 » ; elle code et décode des transmissions, s’occupe du courrier, transporte des paquets et va chercher des agents, des armes et des postes émetteurs parachutés dans la région. Elle se déplace beaucoup en train ou à vélo dans tout la Région R1, secteur qui correspond à Rhône-Alpes, mais aussi à Limoges, dans l’Allier, en zone rurale, où elle fait le tour des fermes afin de trouver des refuges sûrs pour les radios-opérateurs. Dans le but de limiter les risques, elle s’évertue à justifier ses déplacements ; elle convient d’un sujet de thèse fictif avec un professeur d’allemand de la faculté de Strasbourg, installé à Clermont-Ferrand : « les vestiges d’établissements germaniques au sud de la Loire. Étude de toponomastique* » et comme thèse complémentaire : « Sidoine Apollinaire** et le monde germanique ».

*étude linguistique des noms de lieux
**homme politique, évêque et écrivain gallo-romain du Ve siècle, devenu un saint de l’Église

 

Au cours de l’été, Paul Schmidt lui annonce qu’il a trouvé une logeuse : il s’agit de Marguerite Lozier, alias « Marthe », qui accepte de mettre à disposition son appartement au 18, rue Imbert Colomès au cœur du premier arrondissement de Lyon. Les résistants y installent leur bureau et une certaine effervescence règne bientôt en ce lieu : les parachutistes récemment arrivés croisent les hommes et les femmes qui se consacrent au codage et décodage des messages à destination de Londres, et les réunions importantes s’enchaînent. Certains restent parfois manger et dormir et le lieu sert aussi de cachette pour les postes émetteurs et les armes parachutés et en attente d’être distribués aux réseaux. Madame Lozier prend de grands risques car cette adresse est rapidement connue par un grand nombre de personnes. Anne-Marie l'admirera toujours : « Elle reste, pour moi, l’héroïne qui lutte jusqu’au bout, celle sur qui l’on peut compter quoi qu’il arrive », extrait de l'hommage rendu par Madame Bauër dans Voix et Visages en 1971, lors du décès de Madame Lozier.

Madame Lozier en 1971

Une catastrophe survient le 15 octobre 1942 : Gérard Brault alias Kim W, surveillé depuis un moment par les Allemands et leur système de repérage radiogoniométrique, est arrêté à Caluire chez sa logeuse Madame Edmé, après avoir émis trop longtemps. Il a le temps de détruire divers documents compromettants ainsi que les quartz permettant de stabiliser les fréquences, et de prévenir Londres.
Malgré les pertes il faut continuer. Anne-Marie va également former de nouvelles recrues au codage et décodages de message, notamment une certaine Françoise Foex, future Madame Schmidt. Elle aussi est la fille d’un professeur de la fac de Strasbourg, un collègue de son père, qu’elle a elle-même recrutée. Le 11 novembre 1942 elle l’amène à Lyon pour la présenter à Schmidt ; c’est alors qu’elles croisent des trains de soldats allemands envahissant la zone libre. Anne-Marie profite de ses expéditions pour ramener des informations sur les mouvements des troupes ennemies, mais aussi la courageuse lettre envoyée par son directeur à ses abonnés lors du sabordage du Figaro qui finit par interrompre sa publication en novembre.

À partir de décembre 1942 elle effectue des allers-retours notamment à Saint-Privat, une petite commune de la Corrèze située non loin de Tulle. Elle y rencontre des résistants locaux, en particulier les Condamine et Geoffroy Dechaume, qui lui proposent des terrains susceptibles de convenir à l’atterrissage d’un avion Lysander, qu’elle doit ensuite vérifier elle-même : dimensions, absence d’obstacle et relevé des coordonnées, des informations qui seront transmises à Londres. Un appareil d’observation de la Royal Air Force sera ensuite chargé de survoler la zone à haute altitude et de ramener des clichés, validant un possible emploi du terrain. Elle s’investit énormément dans ses missions, malgré une déconvenue lorsqu’un jour elle prend l’initiative de demander à diriger un parachutage. Cela lui est refusé par Paul Schmidt, « arguant que Londres refusait d’habiliter des femmes à assumer ce genre de responsabilité ». 

 

Au début de l’année 1943 elle est également envoyée du côté du Puy-de-Dôme, à Ceyrat, afin de vérifier les dimensions d’un futur terrain de parachutage, et sur un plateau du Massif central auprès d’une équipe de résistants belges. Elle poursuit son travail mais est désespérée par l’arrestation de son ami et réfléchit depuis à un moyen de le faire libérer. 

 

Extrait d'un document intitulé "Instructions pour opérations aériennes", conservé aux Archives Départementales de l'Ain, cote 778W244 Cabinet du Préfet

Extrait "Instructions pour opérations aériennes", Archives départementales de l'Ain, réseau Azur, 180 W 614

« Bien entendu, en tant que femme, j’avais le droit de courir tous les risques,

mais pas celui de diriger un parachutage »

propos de Anne-Marie Bauër in "Les Oubliés et les Ignorés", Mercure de France, 1993, p77

L’audacieuse « Opération évasion » 
Au printemps 1943 elle se propose d’élaborer un plan pour faire évader Kim W. Il lui faut d’abord trouver où il est incarcéré. Elle se rend d’abord à la prison Saint-Paul de Lyon où il avait été emmené mais il ne s’y trouve plus. C’est grâce à Madame Edmé qu’elle va apprendre que son ami a été transféré dans une prison du midi, à Castres. Déterminée, elle part s’installer à Toulouse à l’Hôpital Purpan chez des amies de son ancien groupe d’ambulancières, Berthe Combette et Marguerite Lafleur. Elles sont logées à côté des Allemands qui occupent l’établissement ! À partir de là elle fait de nombreux aller-retours en train à Castres et retourne régulièrement à Lyon chercher de l’argent. Grâce à son frère et à Libération, puis au maire de Saint-Sulpice-sur-Tarn, elle parvient à se mettre en relation avec un gardien de la prison, Maurice Rosbach, un Lorrain patriote ; elle fait appel également à un ami commissaire national aux éclaireurs unionistes, rencontré par hasard, qui lui donne le contact d’un chef du mouvement appelé Cannonge, qui lui-même lui fait connaître deux jeunes de la troupe d’à peine 15 et 18 ans, qui vont accepter de participer à l’opération. L’un, dénommé Morel, fera le guet et l’autre, Bonnafous, lancera par-dessus le mur d’enceinte une corde de montagne lestée d’un sac de sable. Elle se démène également pour trouver un lieu où cacher Gédéon après l’évasion, et c’est rapidement chose faite. Ce sera dans la maison d’une inconnue, une dame tuberculeuse :

 


« Je ne sais même plus son nom. Elle fait partie, elle aussi, de ces innombrables ignorés de la Résistance, envers lesquels les chefs et leurs collaborateurs directs gardent une dette non payée », in Voix et Visages n°60,  janvier – février 1958

 


Elle pense également au devenir du gardien et contacte Raymond Fassin et son successeur dans la région, Paul Rivière, responsable de la Section Atterrissage Parachutage (SAP) pour la zone sud. Elle obtient auprès d’eux la garantie qu’il sera emmené à Londres en même temps que Gérard Brault pour lequel Anne-Marie, minutieuse et prévoyante, trouve également une fausse carte d’identité. L’opération est parfaitement préparée. Claudine a reçu l’interdiction d’y prendre part par mesure de sécurité. Mais le jour J arrive et, contrairement à ce qui était prévu, les hommes du corps franc de Libération qui avaient accepté de donner un coup de main ne viennent pas. Anne-Marie décide de poursuivre l’opération et va même y prendre part. 
Le soir convenu, Rosbach commence par verser un somnifère dans la soupe de ses collègues. Tandis qu’à la faveur de la pénombre elle saute un premier mur avec l’aide de Morel, Kim W est prévenu et amené dans la cour de la prison par le gardien, qui n’avait pas les clefs des portes d’enceinte. Bonnafous lance alors la corde de varappe. Le gardien désormais compromis s’échappe en même temps que Gérard Brault. La jeune femme conduit ensuite les deux hommes se cacher chez l’inconnue tuberculeuse. Puis elle retourne à Toulouse où elle retrouve « Marthe ». C’est elle qui va se rendre en voiture, prêtée grâce à l’entremise du corps franc, à Castres puis ramener Gédéon et le gardien, avant de les emmener chez des amis, les Noufflard, en Dordogne. Puis la très efficace Marguerite Lozier prend le relai et s’occupe de les emmener sur le terrain d’atterrissage « Figue » à Saint-Vulbas dans l’Ain, d’où Paul Rivière les fait partir le 24 juillet 1943. Ils embarquent à bord d’un avion Hudson et prennent place auprès de six autres passagers. L’appareil prend la direction de Blida (Algérie) où il fait escale, puis Gibraltar avant de rentrer en Angleterre le 27 juillet. 

L’opération évasion de Gédéon est une si belle réussite que Claudine se voit confier la mission de proposer un plan afin de faire libérer Max. La résistance est fébrile durant cette période : les arrestations des membres du groupe Combat puis celles des responsables militaires de la zone sud à Caluire le 21 juin 1943, et notamment celle de Jean Moulin (alias Max), ont porté un grand coup au mouvement, dont on s’est même demandé à Londres s’il allait parvenir à survivre. Mais Anne-Marie n’aura pas le temps de mettre en œuvre un quelconque projet.

Arrestation et déportation
Le 24 juillet 1943, la Gestapo surgit rue Imbert Colomès et interpelle Claudine. Marthe, qui est là aussi, fait preuve de vivacité d’esprit et dispose à la fenêtre un pot de fleur, le signal convenu pour prévenir les autres d’un danger. Elle aussi est arrêtée. Les deux femmes sont emmenées au siège de la Gestapo. Anne-Marie est interrogée par Klaus Barbie qui, après avoir tenté la courtoisie pour lui soutirer des informations, en vient rapidement aux tortures. Elle est notamment suspendue durant de longues heures et à plusieurs reprises, insultée et moquée. Comme Marthe qu’elle réussit parfois à croiser, elle est transférée à la prison Montluc. Les interrogatoires continuent et elle découvre l’univers carcéral d’alors et ses codes. Elle aussi apprend à « parler en silence » et à communiquer avec d’autres prisonnières en utilisant les moyens du bord, notamment en tapant sur les murs.
Cette situation dure jusqu’en décembre 1943 ; un jour elle est appelée et c’est le départ pour la prison de Fresnes puis pour celle de Romainville. En janvier 1944 elle est transférée à Compiègne avant d’embarquer dans un wagon à bestiaux, direction l’Allemagne. Le 31 janvier 1944, elle découvre le sinistre camp de Ravensbrück dans lequel elle passe deux mois et demi. Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle s’y trouvent également. Claudine, numéro de matricule 27327, bloc 22, est employée à la Strass Colonne et, quelle que soit la météo, charrie du sable. 
Elle décrit ainsi les travailleuses : 

 

«chaque colonne, toujours cinq par cinq, rejoignait son lieu de travail, spectacle fantomatique, incroyable de beauté et d’horreur»

 

Mi-avril 1944, Claudine est envoyée à Holleischen en Tchécoslovaquie, parmi un groupe de femmes de moins de quarante ans dans lequel se trouvent une centaine de Françaises. Elle connaît le froid, la faim, les poux et la vermine dans la paillasse mais elle note l’absence de four crématoire ce qui lui fait dire que sa situation y est moins terrible qu’à Ravensbrück. Les journées se suivent et se ressemblent : les prisonnières travaillent 12 heures à l’usine en alternance jour et nuit. Un jour elle parvient à se procurer une scie mais les barreaux de sa fenêtre résistent. Sa tentative d’évasion échoue et la garde du camp est renforcée. Après les deux débarquements alliés en France les 6 juin en Normandie et le 15 août 1944 en Provence, le territoire est progressivement libéré et les armées allemandes repoussées jusque dans leurs frontières. Les bombardements stratégiques des usines, voies de communication et aérodromes sur le pays et les zones encore occupées s’intensifient, pour la plus grande joie des prisonnières qui aperçoivent enfin le bout du tunnel après de longs mois de captivité. Le 5 juin 1945, des partisans polonais, qui ont appris que les Allemands ont reçu l’ordre de détruire le camp, parviennent à le libérer avant. Libre, Anne-Marie peut rentrer en France où elle est rapatriée le 24 juin 1945.
Contrairement à elle son frère aîné Michel n’en réchappera pas : il meurt le 15 mars 1945 à Neuengamme.

 

 

Le retour à la vie normale
En plus des difficultés psychologiques et de santé, causées par sa captivité, Anne-Marie Bauër revient avec des blessures aux mains particulièrement graves qui vont lui laisser des séquelles à vie et l’empêcher d’écrire rapidement. Elle ne pourra pas passer les concours pour être professeur en langue et littérature anglaise. Maigre consolation, elle donne tout de même des cours de langue et littérature française à la Sorbonne aux étudiants étrangers. Par ailleurs, elle rédige à la RTF des Cahiers littéraires et commence à écrire des poèmes publiés au Mercure de France.

 

« Battez tambours / pour les mortes et pour les vives / qu’enfin se brise / le mur qui nous sépare / Battez tambours … / Ah, la digue s’est écroulée / voici que nos mortes arrivent », extrait « Les tambours de Nuit » poèmes, Paris 1994. 

 

Jusqu’à sa mort le 21 septembre 1996 à Paris, Madame Bauër est membre active de l'Association des Déportées et Internées de la Résistance (ADIR) et témoigne inlassablement de son expérience dans ses livres, ses poèmes, ses articles rédigés pour le journal « Voix et visages » :  

 

« Parmi tant de femmes courageuses, tu rayonnais de cette force qui te met encore debout aujourd’hui pour témoigner… », Geneviève Anthonioz-de Gaulle, dans la préface de « Les oubliés et les ignorés, Claudine dans la Résistance » Paris, 1993

 

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Décorations
Octobre 1943 : alors même qu’Anne-Marie Bauër est emprisonnée à Montluc, elle se voit décerner

la Croix de guerre 
12 novembre 43 : peu avant sa déportation, on lui attribue la médaille de la Résistance,

grâce au témoignage de Paul Rivière
1959 : elle est promue Chevalier de la Légion d’Honneur et reçoit la Croix de guerre avec palme;

son père avait été élevé au rang de chevalier de la Légion d'Honneur en 1923
1990 :  elle reçoit la rosette de la Légion d’Honneur et promue Officier de la Légion d’Honneur;

son père avait également été élevé à ce grade en 1948

 


Sources et bibliographie

Archives de Lyon et Métropole, prison Montluc, 3335W26 et 3335W19, dossier 8770 

Archives départementales de l'Ain, Réseau résistant AZUR, cote 180 W 614 

acte naissance archives de Paris 05 5N248 + 5N243 (son frère aîné) et www.memoiredeshommes.fr 

Fonds G. et P. Rivière, Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon,

attestation P. Rivière et document témoignage de décembre 1986 

Archives Nationales base de données Léonore Cote C324627 , Henry Edmond George Bauër 

Voix et Visages Janvier - Fevrier 1958 / 1970 / novembre -décembre 1981 / 1990 / 1992 / 1996 

Publications de poèmes au Mercure de France 1950 à 1955 

 

 

 

Anne-Marie Bauër en 1996